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périence lui avait appris qu’elle savait faire des réponses sages… Il fit entendre au prince qu’il avait une maison qui était un fort bel endroit pour la chasse, et que, s’il lui plaisait d’y venir courre trois ou quatre cerfs dans la belle saison, il aurait le plus grand plaisir qu’il eût jamais eu. Le prince, soit qu’il aimât le gentilhomme ou qu’il fût bien aise de prendre le plaisir de la chasse, lui promit d’aller chez lui, et lui tint parole… La chambre de la belle veuve était si bien tapissée par le haut et si bien nattée par le bas, qu’il était impossible de s’apercevoir d’une trappe qu’il avait ménagée dans la ruelle et qui descendait dans la chambre de la mère du cavalier, femme âgée et infirme. Comme la bonne femme toussait beaucoup et qu’elle craignait que le bruit de sa toux n’incommodât la princesse, elle changea de chambre avec son fils… Il n’eut pas plus tôt congédié ses gens, qu’il se leva et ferma la porte. Il fut long-temps à écouter s’il n’entendait point de bruit à la chambre de la princesse, qui, comme on a déjà dit, était au-dessus de la sienne. Quand il put s’assurer que tout dormait, il se mit en devoir de commencer sa belle entreprise, et abattit peu à peu la trappe, qui était si bien faite et si bien garnie de drap, qu’il ne fit pas le moindre bruit. Ayant monté par là dans la ruelle de la princesse, qui dormait profondément, il se coucha sans cérémonie auprès d’elle, sans avoir égard aux obligations qu’il lui avait, ni à la maison dont elle était, et sans avoir au préalable son consentement. Elle le sentit plutôt entre ses bras qu’elle ne s’aperçut de son arrivée ; mais, comme elle était forte, elle se débarrassa de ses mains ; et, en lui demandant qui il était, elle se servit si bien de ses mains et de ses ongles, que, craignant qu’elle ne criât au secours, il se mit en devoir de lui fermer la bouche avec la couverture ; mais il n’en put jamais venir à bout. Car, comme elle vit qu’il faisait de son mieux pour la déshonorer, elle fit de son mieux pour s’en défendre, et appela de toute sa force la dame d’honneur qui couchait dans sa chambre, femme âgée et fort sage, qui courut au secours de sa maîtresse. Le gentilhomme, se voyant découvert, eut tant de peur d’être reconnu, qu’il descendit le plus vite qu’il put. Son désespoir de s’en retourner en si mauvais état ne fut pas moins grand qu’avait été le désir et la confiance d’être bien reçu… La dame, persuadée qu’il n’y avait personne à la cour capable de faire un coup si méchant et si déterminé que celui qui avait eu la hardiesse de lui déclarer son amour, se mit en grosse colère. Soyez assurée, dit-elle à la dame d’honneur, que le seigneur de cette maison a fait le coup ; mais je m’en vengerai, et