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LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

l’autorité de mon frère immolera sa tête à ma chasteté. La dame d’honneur voyant ses transports : Je suis ravie, madame, lui dit-elle, que l’honneur vous soit si précieux, que de ne vouloir pas épargner la vie de l’homme qui l’a exposée pour un excès d’amour. » À la suite de cet exorde, la dame d’honneur (qui était Mme la maréchale de Châtillon) lui montra certains avantages se taire et certains inconvéniens à parler, et la bonne princesse se rendit à ces raisons, qu’on peut voir dans les Nouvelles.

Cette même histoire est racontée par Brantôme, qui la sut de sa grand’mère, la sénéchale de Poitou, laquelle avait succcédé près de Marguerite à Mme de Châtillon. Les passions étaient fort vives à la cour de François Ier ; on le sait par les mémoires du temps, et ceci n’en est pas un des exemples les moins curieux. Au reste, ce n’est pas dans les Lettres publiées par M. Génin qu’il faut chercher ces détails de mœurs privées. Une seule fois il est question de Françoise de Foix, maîtresse de François Ier et femme de M. de Chasteaubriant : « Je trouve fort estrange, dit Marguerite, que le seigneur de Chasteaubriant use de main mise ; mais c’est pour dire gare à ceux qui lui voudraient faire ung mauvais tour. » User de main mise, c’est-à-dire battre, locution qui se trouve encore dans Regnard, Folies amoureuses, ainsi que le remarque M. Génin. Au reste, M. de Chasteaubriant, fort jaloux, fut soupçonné d’avoir hâté la fin de Françoise de Foix. Il y eut des poursuites qu’il étouffa par la protection d’Anne de Montmorency ; mais cette protection coûta fort cher au seigneur de Chasteaubriant : sa terre passa entre les mains de son protecteur. Une phrase ambiguë dans une lettre de Marguerite à son frère, phrase relative à la duchesse d’Étampes et au comte de Longueval, fait comprendre que François Ier lui avait communiqué ses soupçons sur ces deux personnages. La duchesse d’Étampes, maîtresse du roi, vendait les secrets de l’état à Charles-Quint ; le comte de Longueval était l’agent de cette dangereuse correspondance. Le roi s’en doutait, ce qui ne l’empêcha pas de se laisser gouverner jusqu’au bout par la duchesse d’Étampes.

Mais, je le répète, les lettres de Marguerite sont muettes sur les faits de ce genre. C’est dans les Nouvelles de la reine de Navarre que se trouveraient des renseignemens pour l’histoire anecdotique du règne de François Ier, si on savait les y reconnaître. En effet, il paraît que la reine de Navarre, dans ses Nouvelles, n’a point eu recours à l’imagination pour inventer des aventures, et qu’elle s’est contentée de raconter des faits et des scènes que sa mémoire lui