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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Il n’est pas jusqu’aux animaux, dont on ne comprenne ici mieux qu’ailleurs le langage intime et caché. Combien de fois je me suis surpris m’entretenant par gestes avec mon fidèle muet (alogon), magnifique expression des Slavo-Grecs pour désigner le cheval, ce muet ami du voyageur !

Les seuls monumens humains qu’on aperçoive sont des tombeaux. Il y en a de deux espèces : les chapelles sépulcrales des conquérans et les tumulus des anciens chefs bulgares, quelquefois couronnés de sépulcres ottomans modernes, comme ceux de la vallée de Gomela-Voda, entre Selenigrad et Tern. Ces monticules coniques de terre se trouvent en nombre prodigieux dans les plaines ; le Turc les appelle tepé, le Bulgare hunka (demeure du Hun) ; ils ont de dix à cinquante pieds de hauteur. La ressemblance exacte de ces monticules avec ceux qui, en Russie, bordent le Volga, et avec les tumulus pélasgiques de la Troade et de l’Asie mineure, montre bien que tous les peuples, au même degré de développement, ont le même sentiment de l’art, comme la même organisation sociale. À Bazardjik et à Philibé, dans la vallée de Samokov, on rencontre un grand nombre de ces monumens mystérieux, qui sont souvent rangés le long de la route sur des lignes assez régulières. On en compte vingt-quatre autour de Sofia ; il y en a d’autres près d’Eski-Sagra et de Choumla, dans les vallons de Doubnitsa et du Rilo[1]. Si l’on demande aux Bulgares : Qui a élevé cela ? — La main de nos pères, disent-ils. — Pour quel usage ? — Dieu le sait. C’est la réponse à tout du paysan bulgare, qui, ne sachant rien, ne désire rien connaître, pas même ce qui touche son pays. Les Turcs, plus ambitieux, quoique non moins ignorans, prétendent que ce sont des postes d’observation où l’on plantait des piques à queue de cheval, et qui dominaient le campement de leurs armées. Ainsi le vainqueur cherche à enlever au vaincu jusqu’au souvenir des tombeaux de ses pères.

J’ai cherché dans toute la Bulgarie quelques traces du lion à couronne d’or, qui était l’écusson de ses rois ; je n’ai pu en rencontrer de vestige ni dans les anciennes églises, ni aux portes, ni aux murailles des cités, tant la destruction a pesé lourdement sur ces contrées. Là même où le Bulgare la cultive, la terre n’en paraît pas moins déserte ; seulement au lieu des déserts de sable de l’Asie, c’est ici un désert

  1. Il ne faut pas les confondre avec d’autres buttes, communes aussi en Romélie, mais hautes seulement de quatre à six pieds, et qui, toujours placées deux à deux, de chaque côté de la route, à des distances régulières d’un bon quart de lieue, servaient de bornes milliaires.