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versoir et s’épuraient ainsi par voie d’élimination. L’ascendant des chefs, leur science, leur sagesse, leur fermeté, faisaient le reste. Ainsi ont vécu ces corporations et ces sectes, vouées à la vie commune par l’indigence ou par le mysticisme, sans qu’on puisse rien en inférer de concluant pour la vertu générale d’un pareil régime.

Jusqu’ici pourtant, et dans cette limite, ces aspirations, ces tentatives, n’ont rien que de légitime. Satire ou idylle, extase religieuse ou protestation contre un monde profane, on peut tout accepter, pourvu que le débat se passe dans le domaine de la conscience et ne dégénère pas en prosélytisme passionné. Mais il est des gens qui ne comprennent qu’une sorte de tolérance, celle qui s’exerce à leur profit : après avoir combattu pour la liberté des convictions, ils profitent de la victoire pour opprimer celles des autres, s’imposent par la violence et demandent à la terreur la sanction de leurs systèmes. Cette forme de propagande eut des apôtres vers la fin des XIVe et XVe siècles. À leur tête figure l’hérésiarque Wicleff, qui, s’appuyant sur cent mille lollards révoltés, fit trembler l’Angleterre et la plaça sous le coup d’un bouleversement général. Le second, plus dangereux encore, fut le curé Muncer, de Zwickau ; disciple de Luther, il devint le chef des premiers anabaptistes. Sous le couvert d’un schisme religieux, Muncer conduisit la populace à l’assaut des propriétés. Le sénat de Mulhausen se prêtait mal à ses plans de spoliation ; Muncer le contraignit à se dissoudre. Ses moyens d’action sur la multitude étaient infaillibles ; il conviait les pauvres au partage de la dépouille des riches, et, traînant à sa suite des bandes avides de pillage, il les excitait par des harangues furieuses. « Nous n’avons tous qu’un même père, leur disait-il ; ce père est Adam. D’où vient donc la différence des rangs et des biens ? Pourquoi gémissons-nous dans la pauvreté, tandis que d’autres nagent dans les délices ? N’avons-nous pas droit aux biens qui, par leur nature, sont faits pour être distribués entre tous les hommes ? Rendez-nous, riches du siècle, rendez-nous, usurpateurs cupides, les trésors que vous retenez injustement. C’est à mes pieds qu’il faut les apporter comme on les apportait jadis aux pieds des premiers apôtres. » Un système de communauté qui montrait la dévastation en perspective, et qui s’adressait à la fois à la cupidité et au fanatisme, devait naturellement rallier des adhérens. Aussi le communiste du XVIe siècle se vit-il bientôt entouré d’une bande nombreuse qui ravagea l’Allemagne pendant plus de trente ans. Quand le landgrave de Hesse, prenant la défense de la civilisation menacée, attaqua et tailla en pièces les anabaptistes, ils