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PHILOSOPHIE DU DRAME GREC.

fructueuse, car il avait trouvé dans la religion de son temps des germes qui en préparaient une meilleure pour l’avenir.

Voilà Sophocle tel que nous l’avons compris. Quant à son mérite purement littéraire, ce serait peut-être se traîner dans des lieux communs que d’en parler ici. Qui ne sait qu’il fût appelé l’abeille à cause de la douceur et de la grace harmonieuse de son langage ? Qui ne sait qu’à cette douceur et à cette grace il ajoute, quand il le faut, l’énergie pittoresque, la majesté, la rapidité de l’expression ? Qui ne sait que ses chœurs sont le plus souvent un intraduisible mélange de mélodie, de méditation et de tendresse, un chant divin qui vibre et flotte doucement dans l’air au dessus des agitations humaines, et qui produit, sur nos imaginations l’effet de ces groupes d’anges que les peintres placent dans le ciel au-dessus de la scène d’un martyre ? Le style n’est pas tout l’homme, mais il est du moins l’expression de l’ame du poète, il est sa physionomie intellectuelle ; dès-lors, qui pourrait l’analyser ? C’est la vie même ; l’intuition directe peut seule la saisir.

Contentons-nous donc de résumer les rapports philosophiques sous lesquels nous avons voulu particulièrement envisager le drame grec. Né des cérémonies mystiques, il ne leur a pas seulement emprunté sa forme extérieure et théâtrale, mais encore il a vécu, à son origine, de la pensée même qu’exprimaient ces cérémonies. Alors l’esprit grec, muni de ce nouvel instrument qui le mettait dans un rapport plus direct avec la religion, continua et renforça son action double, déjà si nettement caractérisée dans les poèmes d’Homère. D’un côté, le drame satyrique se mit à saper la mythologie populaire plus vivement encore que n’avait fait la comédie des dieux dans l’Iliade et l’Odyssée ; de l’autre, le drame sérieux, étudiant la vie réelle de l’homme et cherchant à l’élever au beau et au grand, accomplissait à sa manière l’œuvre de la philosophie morale. Sous cette double forme, l’esprit grec continua de soumettre à deux opérations principales l’arbre plein de sève de la religion : la critique émondait, ébranchait, et souvent même attaquait les rameaux fructueux aussi bien que les superfétations nuisibles, tandis que la poésie créatrice s’attachait de préférence à ce qu’il y avait dans les croyances de vrai et de vivace ; elle en arrosait le tronc impérissable de ses flots d’inspirations, puisés dans les profondeurs de l’ame émue ; elle en nourrissait la substance intérieure, en attendant que l’écorce tombât et se renouvelât d’elle-même, car c’est la fonction de la poésie de créer les types du beau et du bon ; l’abstraction ne vient qu’après, pour