Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
323
DES ÉTUDES ÉGYPTIENNES EN FRANCE.

brèche aussi énorme. Personne donc n’entendait rien, jusqu’à ce qu’un tremblement de terre, l’an 27 avant Jésus-Christ, rompît le colosse en deux. La moitié demeurée debout était saine, et dès ce jour Memnon devint harmonieux. Sa voix matinale n’a que cette humble origine : le critique le prouve sans pitié. Le prodige dura deux cent trente ans. Septime Sévère, devant qui Memnon avait obstinément gardé le silence, voulut calmer le héros et s’avisa de restaurer son colosse. Il espérait que la voix en deviendrait plus belle. Il dut jurer, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Les pierres placées sur le tronçon mutilé firent l’office de sourdine, et Memnon redevint muet. Je soupçonne M. Letronne d’avoir non sans un secret plaisir, joué ce mauvais tour à ce poétique mensonge. Creuzer s’était fourvoyé au sujet de Memnon et de sa voix. M. Letronne ajoute un peu cruellement : « Les amateurs d’allégories et de symboles cesseront de prendre le beau Memnon pour but de leurs élucubrations fantastiques ; car et le cercle d’or de l’année, et le cercle annuel des cantiques, et les sept sons du septième jour, et l’harmonie des sphères, et le cadran, et le gnomon, et les incarnations du soleil, toutes ces inventions, assurément très poétiques, ont maintenant disparu pour faire place à une histoire toute prosaïque et toute simple, mais claire. » Le mysticisme est le moindre défaut de M. Letronne, et, s’il a une superstition, ce ne peut être que celle de la clarté.

Ses Recherches sur l’Égypte sont jusqu’à présent son ouvrage le plus important. Il y explique quarante-trois inscriptions grecques de l’Égypte que l’on connaissait en France en 1823. Depuis lors le nombre de ces inscriptions s’est considérablement accru. M. Letronne en possède aujourd’hui sept cents. Il les a restituées et expliquées : il n’a plus qu’à les publier, et le premier volume de ce recueil va paraître. Il publie en même temps les papyrus grecs du Louvre. L’histoire des Lagides, si peu connue encore, sera ainsi retrouvée dans les documens originaux. On ne peut douter qu’avec de si abondans matériaux, un esprit comme celui de M. Letronne n’éclaire cette époque intéressante d’une lumière toute nouvelle. Ces recueils seront sûrement riches de découvertes inattendues, d’investigations curieuses, d’aperçus ingénieux, de vastes résultats, et l’un des beaux monumens de la science moderne.

La France a donc bien l’initiative des études égyptiennes. C’est elle qui a ouvert la vallée du Nil au monde savant. Elle a la première