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PORTRAITS HISTORIQUES.

Il n’y avait plus qu’à lui trouver un tort pour se défaire honnêtement de ses importunités, et il ne tarda pas à s’en donner un, tel que le plus ardent de ses ennemis aurait pu le choisir. Au printemps de 1659, il courut dans le monde un récit d’impiétés énormes, commises par quelques jeunes gens de la cour durant la sainte semaine. La scène s’était passée à quelques lieues de Paris, dans un château, et l’on ne parlait pas moins que du baptême chrétien administré dérisoirement à un cochon de lait ou d’une victime humaine sacrifiée et dévorée. En réduisant le fait à ce qu’on ne pouvait nier, il était toujours certain que, pendant les jours les plus sévèrement consacrés à la pénitence, cinq ou six étourdis, sous le prétexte ordinaire de retraite, s’étaient rassemblés à Roissy, qu’ils y avaient chassé, joué, bu, chanté, et que l’un des acteurs de cette débauche à contretemps, un de ces jeunes fous, était le comte de Bussy, âgé alors de quarante-un ans, marié deux fois, père de cinq enfans, celui qui se plaignait d’être le plus vieux des lieutenans-généraux. Ce qu’on avait chanté en cette occasion devint plus tard contre lui le plus important grief, car il eut le soin puéril de s’en souvenir après l’orgie et de le conserver. C’était une série de couplets improvisés par chacun des convives, sur le rhythme et avec le refrain du chant pascal. Le premier regardait les amours du roi, et on a écrit cent fois qu’il désignait Mlle de La Vallière ; c’est une des erreurs les plus grossières parmi celles qu’on répète toujours. Tous les couplets, qui commencent par celui-ci :

Que Deodatus est heureux
De baiser ce bec amoureux
Qui d’une oreille à l’autre va !
Alleluia !

tous ces couplets, disons-nous, ont une seule et même date, confirmée d’ailleurs par les faits auxquels chacun d’eux fait allusion ; ils sont éclos la veille ou le jour de Pâques (12 ou 13 avril) 1659, et, à cette époque, il s’en fallait encore de deux ans que Mlle de La Vallière se fût seulement approchée de la cour. Louis XIV n’aperçut sa figure qu’après la mort du cardinal Mazarin et le mariage du duc d’Orléans son frère, lorsqu’elle entra dans la maison de la nouvelle Madame, Henriette d’Angleterre. Celle qu’il aimait en 1659 était Marie Mancini, nièce du cardinal, qui avait le bonheur de plaire avec un visage fort laid, et dont on signale ici une des imperfections. Mme Motteville le dit d’ailleurs positivement : « Le peu de beauté