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PORTRAITS HISTORIQUES.

le disait, pour lui faire plaisir, une dame de ses amies : « Il l’avait faite deux fois. » Tout le monde pourtant ne prit pas ainsi ce tendre attachement, et il y eut des gens qui le crurent coupable. Nous autres hommes, quand nous sommes amenés par les circonstances à de pareils soupçons, nous hésitons long-temps avant de les produire, et nous y employons tout ce qu’il y a d’atténuant dans les formes dubitatives. Les femmes, qui s’y connaissent peut-être mieux, n’y font pas tant de façons. Suivant Mme du Deffand, qui le tenait de sa grand’mère, le comte vivait plus que familièrement avec sa fille, et elle le dit d’une manière beaucoup moins modeste. Quoi qu’il en soit, Louise-Françoise demeurait chez son père, maîtresse de sa maison en l’absence de la seconde femme, qui avait des procès à Paris ; elle en faisait les honneurs, et elle était de moitié dans ses correspondances. Il l’avait ainsi gardée jusqu’à l’âge de trente ans sans lui trouver de mari, et lorsqu’enfin il se résolut à en prendre un pour elle, il le choisit avec tant de bonne chance (1675), qu’au bout de sept mois elle était veuve, et « heureuse veuve, » écrivait-elle. Comme son mari, Gilbert de Langheac, marquis de Colligny, l’avait laissée enceinte, elle eut la fortune du défunt, qui était considérable, et continua plus librement sa vie de dame du château paternel. Malheureusement, après trois ans d’un veuvage si gaiement accepté, soit qu’elle eût envie de se révolter contre ce qu’il y avait d’égoïste et d’impérieux dans l’affection de son père, soit qu’elle ne voulût pas vieillir tout-à-fait sans essayer d’une grande passion, elle se laissa engager, et fort vite, avec un de ses voisins, jusqu’à lui promettre mariage (1679). La condition de celui que cette aventure regardait est restée, même après un débat public, quelque chose d’assez mystérieux. Il se disait gentilhomme, et le paraissait au moins par ses alliances ; il racontait qu’il s’était beaucoup battu depuis que le comte avait quitté les armées, et il laissait entendre à sa fille qu’il avait beaucoup aimé. Tant fut raconté et laissé entendre, que, comme nous l’avons dit, il eut de la marquise une bonne promesse de mariage, « signée du plus beau et du plus pur de son sang. » Le père avait commencé, à ce qu’il paraît, par trouver son voisin homme de bon commerce et d’aimable entretien ; mais de quelle horreur ne fut-il pas frappé lorsqu’il apprit que l’hôte et le commensal de sa maison, celui avec lequel il avait échangé des complimens, le prétendant à la main de sa fille, n’était rien de plus que l’arrière-petit-fils d’un vigneron, le petit-fils d’un archer de la prévôté, autrefois laquais, enfin, car son indignation se résume par ce mot, « un