Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/346

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
342
REVUE DES DEUX MONDES.

paysan, » qu’il fallait appeler François Rivière, et non, comme il se disait, Henri-François de la Rivière ! Cependant, paysan ou gentilhomme, ce mari convenait à la veuve du marquis de Colligny, qui, pour ne pas le perdre et pour n’avoir pas perdu aussi les arrhes du contrat, s’en alla tout doucement dans une terre de Champagne qu’elle venait d’acheter, et là, le 19 juin 1681, épousa secrètement celui qu’elle aimait. Le comte en fut bientôt instruit, courut chercher sa fille, l’enferma dans un couvent, et obtint d’elle, par menaces, que, quoi qu’il fût advenu avant ou après le sacrement, elle se tiendrait pour non mariée. Ainsi fit-elle, non sans quelque retour de tendresse pour son amant de basse naissance, et, s’étant affermie dans son devoir, elle redevint digne du sang des Rabutin, aimant mieux avoir failli au hasard que de se mésallier sciemment. Il restait seulement, de ce commencement d’affaire, un résultat contre lequel le repentir ne pouvait rien. Paris, qui cache tout, parut un lieu propre à en étouffer le mystère, et la marquise s’y rendit avec son père, sous de faux noms (février 1682), pour se délivrer de l’enfant qu’elle portait. Mais le mari, qui s’était jusqu’alors assez vilainement mis à l’abri, les y suivit, et, sous la protection de la justice, réclama hautement sa femme et son fils nouveau-né. Alors il y eut un procès, le plus ignominieux qui se pût voir, où chacune des deux parties, pour avoir le droit de son côté, faisait à l’envi le meilleur marché de son honneur. Après deux années d’incidens et quinze journées de plaidoiries, il fut jugé (13 juin 1684) que la fille du comte était bien mariée et mère légitime. Puis son mari consentit à ne jamais se prévaloir de cet arrêt, moyennant qu’on lui abandonna l’usufruit de la terre où le mariage avait eu lieu. Le comte rentra donc en possession de sa fille ; mais le procès, et toutes les révélations honteuses dont il était plein, vengèrent plus qu’il ne fallait ceux qui avaient à se plaindre de lui, et l’Histoire amoureuse des Gaules fut cruellement punie par le Journal des audiences.

ALu milieu de tout ce bruit, on ne voit pas que le comte de Bussy ait porté la tête d’une ligne moins haut. Ce fut au contraire dans le plus grand éclat de la procédure qu’il recouvra enfin le droit de paraître à la cour, et ceci est un trait des mœurs d’autrefois qu’il importe de remarquer. Il n’était pas convenable qu’un homme de qualité, plaidant pour un intérêt de famille, entraînant dans sa cause, comme cela se fit par une intervention formelle, tout ce qu’il avait de parens et d’alliés, se montrât en justice encore frappé de la réprobation royale, et il fallait d’abord, pour lui rendre dans le débat