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Fontainebleau (1691), le roi lui accorda gracieusement une pension de quatre mille livres, dont il se déclara « redevable à Dieu, au père de la Chaise et à Mme de Maintenon. » Dix-huit mois après, il mourut dans sa maison, le 9 avril 1693, âgé de soixante-quinze ans, et laissant dans le meilleur ordre tout ce qui pouvait servir à lui procurer cette autre vie terrestre qu’on appelle la gloire : sa Généalogie complète ; ses Mémoires achevés jusqu’à sa sortie de la Bastille, et continués par les lettres qu’il avait écrites ou reçues ; ses Œuvres littéraires (vers, traductions, imitations, portraits), transcrites dans les diverses parties de sa correspondance ; son histoire de Louis-le-Grand, conduite, on peut le dire, jusqu’à la veille du jour où la mort l’empêcha d’écrire ; son Discours à ses enfans terminé par son entier rétablissement dans les bonnes graces du roi ; mais surtout ses Lettres à sa cousine de Sévigné, et celles qu’il avait d’elle, soigneusement copiées de sa main sur un registre à part, comme s’il eût prévu que ce serait là son meilleur titre au souvenir de la postérité. Et, dans le fait, les deux parens ont survécu tour à tour l’un par l’autre. Ce fut, sans aucun doute, le comte de Bussy qui mit dans le public et qui nous a conservé Mme de Sévigné. Ses Mémoires, imprimés en 1696, l’année même où la marquise cessa de vivre, contenaient quelques lettres de cette dame ; sa correspondance, publiée l’année suivante, révélait toute la suite de cet ingénieux commerce, et, pendant vingt-neuf ans, ce recueil servit seul à témoigner que la France avait un grand écrivain de plus. Ce ne fut qu’en 1726 que parut une partie des lettres écrites par Mme de Sévigné à sa fille. D’année en année, ce fonds précieux s’est accru, et c’est par la place fort étroite qu’il y occupe que le comte de Bussy-Rabutin a sauvé son nom de l’oubli. Nous ne prétendons certainement pas mettre en pareil rang la femme la plus aimable, selon nous, qui jamais se soit fait connaître au monde, et celui qui ne fut pas même le plus aimable des hommes ; mais nous regretterions fort que trop d’obscurité eût couvert la figure du comte, et nous avons grand plaisir à la voir, comme éclairée de la douce lumière que jette sa cousine, avec son regard hautain, sa morgue railleuse, son naïf orgueil, réunissant la double vanité de l’homme de lettres et du grand seigneur, dont chaque moitié suffit pour faire un pédant et un sot, dont l’ensemble forme, à coup sûr, un caractère original et piquant.


A. Bazin.