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ou de farine de maïs délayée avec du lait leur suffit. Seulement, aux jours de fête, paraissent le yahhni, ragoût de viande cuite avec des pois secs, le pilaw turc et le kotché (grand rôti), consistant en une chèvre ou un mouton servi entier, sur un plateau de bois de chêne, aux boures rangés en cercle, qui le dépècent avec leurs poignards, et l’ont bientôt dévoré, sans avoir besoin de fourchettes. Comme chez les Bosniaques, le banquet se termine par des morceaux de miel mêlés de crème. Malgré leur apparence barbare, ces fêtes ne sont pas sans grandeur. L’Européen s’étonne de cette franche gaieté qui n’exclut pas des manières dignes : il contemple ces files de domestiques, debout, les mains croisées sur la poitrine, — les serviettes brodées d’or qui se déroulent d’un convive à l’autre, — les vastes coupes de cristal enrichies de pierreries, qui circulent au milieu des toasts, — les aiguières de vermeil, contenant l’eau chaude que les jeunes femmes, après le repas, versent sur les mains et la tête des conviés, — enfin les danses mimiques exécutées devant l’assemblée. Tout rappelle au voyageur les mœurs antiques, tout concourt à le charmer. Cependant sa joie fait bientôt place à une pitié douloureuse, quand il voit le père de famille rassembler avec un superstitieux respect les omoplates du mouton immolé, et les présenter à la lumière du soleil pour y lire, comme un aruspice, les destinées de sa race.

Ces repas sont souvent accompagnés de chants. Chaque clan a son barde, qui est d’ordinaire quelque vieillard de la famille ; le barde chante à ses petits neveux les exploits de leurs ancêtres et ceux du chef actuel de la tribu, hauts faits trop souvent souillés de cruautés et de perfidies atroces aux yeux d’un homme civilisé, mais qui, dans les idées de ce peuple, n’ont rien de déshonorant. Ces chants, divisés par couplets, sont en quelque sorte psalmodiés sur un air monotone, interrompu, à intervalles réglés, par des cris perçans. Leur brokovalas, marche militaire que chantaient déjà les compagnons de Skanderbeg en allant au combat, et qui remonte peut-être jusqu’à Pyrrhus, est d’un effet réellement terrible.

Le genre de vie des Albanais les rend nécessairement robustes, insensibles aux intempéries des climats comme à toutes les vicissitudes des saisons. La crise qui termine leur existence est presque toujours la seule maladie qu’ils aient à traverser dans leur vie ; aussi dédaignent-ils souverainement les médecins. Il y a pour tout le pays une dizaine au plus de docteurs grecs, élèves des écoles de Pise, de Vienne et de Paris. Quant à la chirurgie, elle est complètement abandonnée aux sorciers, qui, au moyen de leurs onguens et de