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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

tent encore six mille individus, chrétiens, juifs et musulmans, que les fièvres d’été font fuir chaque année de leurs demeures. À peu de distance d’Avlone s’élève l’enceinte déserte d’Apollonie, que Velleius Paterculus appelait une grande et magnifique ville, et qui fut bâtie par les Corinthiens sur la côte des barbares Iliriens. Du temple d’Apollon, les habitans ont fait une église et un couvent dédiés à la vierge de Pollini. La richesse des anciens Apolloniates est encore attestée par un vaste amas de débris, où l’on trouve souvent des médailles, des vases précieux, et des statues. Dans ces ruines d’Apollonie, où les prêtres d’Homère gardaient autrefois les béliers sacrés du dieu de la lumière et de la poésie, les bouviers mirdites viennent aujourd’hui chaque automne parquer leurs troupeaux. Jamais ils ne pénètrent dans la contrée qui s’étend au-delà, et qui est toujours pour eux comme pour leurs premiers aïeux la terre étrangère ou l’Hellénie.

Toutes ces vallées, singulièrement fertiles, sont cependant malsaines à cause de la stagnation des eaux. Il faut en excepter celle de l’Argyrine ou de Drynopolis, qui pourrait devenir un paradis terrestre. Abritée par la chaîne des monts Argenik, où se trouvaient probablement les mines d’argent des anciens Grecs, elle est arrosée par le Celydnus, qui descend du Dzoumerka ou Tomoros. La ville forte de Canina (l’antique Œneus), peuplée de trois mille ames, ferme cette vallée, qui, dans sa partie supérieure, aboutit à Argyro-Kastro, la ville des anciens Argyres. Bâtie sur trois montagnes escarpées, Argyro-Kastro est entrecoupée de précipices, au-dessus desquels sont comme suspendus les konaks crénelés des beys. Quelques ponts jetés sur ces abîmes unissent entre elles les maisons des phars coalisés. Ici, comme dans les villes italiennes du moyen-âge, on se fusille souvent d’un palais à l’autre. Au bas du grad ou kastro, ensemble confus de tours isolées, où vivent claquemurés plusieurs milliers de musulmans, s’étend le varoch ou la polis d’Argyre, ville marchande et chrétienne, réduite par les éternels faïdas des beys à quelques centaines de maisons. Près de là, on remarque, au village de Gorandgi, une caverne curieuse avec un lac souterrain. Plus loin la ville déchue de Liboklovo a du moins conservé tous les charmes de sa riante position. La fameuse confrérie des sou-terrazi (niveleurs de l’eau) est originaire de la vallée de l’Argyrine. Cette confrérie existait déjà avant Jésus-Christ. Les sou-terrazzi furent au moyen-âge les fontainiers privilégiés de Constantinople ; les sultans les maintinrent dans tous leurs droits, et leurs solides ouvrages cou-