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pale. Leur industrie et leur commerce ont partagé la ruine de leurs institutions ; les marécages reprennent peu à peu sur leur territoire la place des champs cultivés, et contre les fièvres d’été les paysans n’ont plus d’autre remède que la fuite. Quittant leurs huttes, devenues d’humides étuves, ils vont camper dans les pâturages, où ils suspendent leurs lits aux arbres les plus élevés pour mieux se préserver des exhalaisons de la terre, et recevoir les brises rafraîchissantes du ciel.

Un sentier qui serpente au-dessus d’affreux précipices conduit de la ville ruinée de Loroux à Souli. Ici déjà la langue grecque, qui partout résonne, avertit l’Européen qu’il touche aux dernières limites du pays des Chkipetars. Cependant Souli et ses environs font encore partie de l’Albanie officielle, et trop de souvenirs se rattachent à ces lieux pour que le voyageur puisse leur refuser son attention. Le pays de Souli, qui dut faire partie de l’antique Selléide, offre des ruines curieuses, celles de la cité de Pandosie, près du village de Sévasto, et les monumens bien conservés de Cassiopea, près des gouffres de Zalonbos, où se jetèrent héroïquement les femmes souliotes poursuivies par les Turcs. Situées à douze lieues de Janina, baignées par l’Achéron au lit rocailleux ; et voisines de phars indépendans d’une grande férocité, notamment de celui de Dervigniana, les montagnes de la Cassiopée étaient devenues un champ d’asile, une forteresse naturelle pour ceux qui voulaient se soustraire à la persécution des Turcs. Sous le nom de Souliotes, ces réfugiés y avaient construit une vingtaine de gros villages. Celui de Skouitia, au midi, gardait la seule gorge par laquelle ce canton fût accessible, et il la dominait tellement, qu’aucune troupe ennemie ne pouvait s’aventurer dans ce défilé sans être aussitôt écrasée. Parmi les autres villages, également assis au bord des abîmes ou sur des cônes escarpés, se distinguaient Mega-Souli, Agia-Paraskevi, Milos, Vounon-Zavrouchon, Laka, Kiafa, Tsagari. De légers ponts de bois unissaient entre eux tous ces postes, dont les Grecs actuels peuvent à peine indiquer l’emplacement. Le fort même de Paraskevia ou de Sainte-Vénérande a disparu. Le nouveau fort d’Ali-Pacha, inattaquable tant il est escarpé, s’élève seul sur ces monts déserts et garde le cours de l’Achéron, qui tourbillonne au-dessous du château, à huit cents pieds de profondeur. Outre les villages spécialement souliotes, il y en avait d’autres, en bien plus grand nombre, éparpillés autour de la montagne dans les vallées extérieures, délicieux asiles qu’embaument le myrte, le serpolet, la sauge, le thym, le haut laurier, le romarin, la mélisse