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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/401

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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

mépris pour les malencontreuses réformes du sultan, qui proscrivait les foustanelles et remplaçait la marmite des ortas, expressif emblème de la fraternité militaire, par le tambour, impérieux organe des volontés absolues. Veli ne répondait à ces sarcasmes que par un silence prudent. Enfin, ne voyant autour de lui que cinq mille volontaires, tandis qu’Arslan en avait réuni quatre fois plus, il crut devoir proposer à son rival une conférence, qui fut acceptée. Après une longue discussion, Arslan et Veli, se baisèrent au front, et, se tournant vers leurs troupes, s’écrièrent : Frères, la paix est faite ! De tous côtés alors, on déchargea les mousquets en signe de joie, et les beys des deux partis, se mêlant, formèrent une grande assemblée, où les raisons qui militaient pour la paix furent exposées et débattues en toute liberté. Le résultat de cette délibération fut qu’il fallait vivre unis. Aussitôt ces deux armées, parlant la même langue, se jetèrent en quelque sorte dans les bras l’une de l’autre, et, au lieu d’une mêlée furieuse, ce ne furent qu’embrassemens fraternels.

L’union de ces deux partis parut un moment avoir porté ses fruits. Le divan accorda une amnistie complète à tous les klephtes, et réintégra leur chef Arslan parmi les vrais croyans et les bons citoyens. Cette amnistie n’était qu’un piége : la même fourberie employée contre Ali, le klephte-roi, devait se répéter sur une plus grande échelle contre ses successeurs. Pas un de ces braves ne devait échapper aux perfides menées des Osmanlis, acharnés fatalement à détruire dans cette race albanaise tout ce qui n’était pas chrétien. Mehmet-Rechid invita tous les beys et chefs de phars à venir sceller par un grand banquet, près de Monastir, leur réconciliation avec le gouvernement : conduits par Arslan et Veli-bey, ils y vinrent au nombre de quatre à cinq cents ; c’était l’élite de la population musulmane d’Albanie. La fête fut splendide ; à l’issue du repas, un orchestre militaire fit entendre des airs d’Europe, musique étrange pour ces beys chkipetars, tandis qu’autour d’eux se rangeait en carré sur deux haies, et comme pour leur faire honneur, un régiment de troupes disciplinées à la franque. Bientôt cependant les tambours battirent la charge. Arslan le premier s’aperçut du piége ; il cria, dit-on à Veli-bey : « Ami, nous avons mangé de la boue ! — Tout cela est de la tactique européenne, » répondit Veli avec une inébranlable confiance. Soudain une fusillade générale abattit cette brillante noblesse, et une charge à la baïonnette acheva ceux qui respiraient encore. Veli reçut dix-neuf balles ; le seul Arslan échappa en faisant bondir son petit cheval par-dessus les haies des soldats, mais le pacha Khior-