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double doctrine, trait fondamental de l’ancienne constitution morale et politique de la Chine contenue dans les Kings.

Une autre idée essentielle de Lao-tseu, qui se trouve chez Confucius et dont la racine est dans les Kings, c’est que la nature de l’homme est essentiellement bonne ; que, pour atteindre à la perfection morale, il n’a qu’à revenir à sa pureté, à sa simplicité natives. C’est, comme on voit, le contraire de l’idée chrétienne sur la tache originelle, c’est l’idée philosophique de Rousseau ; l’homme naît bon, la société le déprave ; tout est bien en sortant des mains de l’auteur de la nature. Lao-tseu pousse cette idée jusqu’à ses dernières conséquences. Dans son horreur pour la lutte, il exalte sans mesure l’état d’innocence primitive. Pour lui, le dernier terme de perfectionnement auquel puisse s’élever le sage, c’est de revenir à l’état d’enfant. De là cette pensée remarquable, « plus l’on s’éloigne et moins l’on apprend. » Le Christ aussi a dit : Soyez semblables à un de ces petits enfans ; mais il a dit encore : Cherchez, et vous trouverez. Le christianisme nous enseigne un pieux respect pour l’innocence qui ne sait pas, mais il nous enseigne aussi à admirer la science et la vertu ; il place les séraphins dans le ciel à côté des chérubins. L’idée de la chute, puisée dans le repli le plus profond de notre cœur et le plus malade, l’idée de la rédemption, sublime révélation de l’espérance et d’où résulte la nécessité de la lutte morale, s’élèvent d’une hauteur infinie au-dessus de ces conceptions de l’Orient, profondes, mais tristes, dans lesquelles l’homme n’a qu’à se faire chose et à se laisser entraîner passivement par la nature dans la voie universelle et inévitable des êtres. Ce point de vue tout oriental, et qui a plus d’une fois, sous le nom de quiétisme, tenté de faire irruption dans les croyances chrétiennes de l’Occident, n’a peut-être jamais trouvé d’expression aussi franche, aussi nette que celle que lui a prêtée Lao-tseu. Le quiétisme est en général vague et vaporeux ; chez Lao-tseu, il est positif et pratique. La puissance d’abstraction et la sévérité positive de l’esprit chinois ont permis à cette philosophie d’être mise pour ainsi dire en compartiment et en relief. Jamais ce qu’il y a de plus subtil et de plus abstrait n’a été exposé d’une manière plus catégorique et mis pour ainsi dire sous une forme plus palpable.

Faire connaître Lao-tseu, c’était donc servir doublement l’histoire de la philosophie en y faisant entrer un monument qui se rattache à la fois à quelque chose de très général, la religion de l’absolu, le