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tion jetait dans de mortelles angoisses, criait, écumait, et se roulait par terre. On ne tarda point à reconnaître qu’elle était possédée, et on la conduisit à l’église pour l’exorciser. Maître Louis Sourbaud, docteur en théologie, commença les conjurations ; mais le diable, étant monté sur les voûtes, se mit à lancer des pierres à la tête des assistans, et maître Louis Sourbaud fut obligé de déguerpir. L’archevêque de Laon, duc et pair de France, voulut à son tour tenter l’aventure. — Ah ! c’est vous, monseigneur ! lui dit l’esprit malin aux premiers mots ; vous me faites vraiment trop d’honneur, et, pour vous recevoir comme il convient, j’ai convoqué dans le corps de cette fille dix-neuf diables déterminés. — Monseigneur resta tout interdit, et le diable reprit en riant : Moi et mes amis, nous nous moquons de votre excellence et de Jean Leblanc (Jean Leblanc, dans l’argot de ce diable, était le nom de Jésus-Christ). Je vous ferai cardinal et même pape si vous parvenez à me chasser ; mais, en attendant, je vous conseille d’aller dormir : vous avez trop bu en dînant. — L’archevêque n’insista pas. Les huguenots, qui riaient avec le diable de la mésaventure du prélat, se présentèrent à leur tour. Tournevelles et Conflans, ministres réformés, se rendirent auprès de Nicole Obry. — Qui êtes-vous ? — D’où venez-vous ? Qui vous a envoyés ? leur demanda le démon. Et depuis quand un diable peut-il en chasser un autre ? — Je ne suis pas diable, dit Tournevelles, mais serviteur du Christ. — Serviteur du Christ ! reprit Satan ; mais en vérité, Tournevelles, tu t’abuses ; tu es pis que moi. — Conflans, pour tirer d’embarras Tournevelles, qui ne savait que répondre, se mit à lire les psaumes de Marot. — Penses-tu me charmer, lui dit Satan, avec tes plaisantes chansons ? c’est moi qui les ai faites. Heureusement la Vierge se mêla de l’affaire ; elle somma Satan de partir, et il obéit ; mais, en quittant Nicole Obry, il alla, pour se venger, briser toutes les ardoises qui couvraient l’église, arracher toutes les fleurs dans le jardin du trésorier, et il partit ensuite pour Genève, où l’appelaient les intérêts de la réforme.

Ce long drame des possessions, ce drame barbare comme les mystères du moyen-âge, devait, au seuil même du grand siècle de Louis XIV, se dénouer par un supplice. En 1634, sur la déposition des religieuses de Loudun et d’Astaroth, chef des diables de l’ordre des séraphins[1], Urbain Grandier fut condamné au feu, et cette triste et célèbre affaire, où Laubardemont avait joué un rôle plus actif que Satan, fit perdre aux possédés le peu de crédit qui leur restait encore.

Ainsi tout se mêle et se confond dans ces légendes de l’enfer, le rire et les larmes, le grotesque et le terrible, le mysticisme et l’impiété. L’homme a peur du diable, mais le diable n’a pas moins peur de l’homme. Il y a des oraisons qui font sur lui l’effet d’un coup de fouet, et il est contraint d’avouer qu’il lui serait plus facile de traîner un âne par la queue, de Ravenne à Milan, que de faire pécher ceux qui les répètent. On a vu des moines l’enchaîner avec

  1. La déposition du démon Astaroth, avec signature et paraphe, est conservée parmi les pièces du procès de Loudun, à la bibliothèque du Roi.