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JEAN-PAUL RICHTER.

Déjà, depuis un an, l’activité littéraire de Jean-Paul avait été sensiblement ralentie par une faiblesse de l’organe visuel, qui, à force d’être négligée, finit par prendre, vers le milieu de 1824, tous les caractères de la cécité. « À partir de l’hiver dernier, écrivait-il vers cette époque au libraire Kunz à Bamberg, mes yeux (déjà depuis long-temps le gauche n’y voyait qu’à grand’peine, et, comme la plupart des critiques et gens de lettres, ne lisait des ouvrages que le titre) mes yeux se sont pris d’une haine profonde pour la lumière et d’une passion excentrique pour la nuit, qui ne manquera pas de me conduire avant peu, si cela continue, à l’orcus de la cécité, et alors adio opera omnia. On m’a beaucoup parlé ici d’un certain Puns Brunquell, fort célèbre à Bamberg par une huile de vertu miraculeuse, à ce qu’on prétend ; serez-vous assez bon pour recueillir ce qu’il y a de vrai dans ces prodiges et me l’écrire, en n’oubliant pas d’y joindre ce que les principaux médecins de Bamberg en pensent ? » Et dans une lettre du 26 novembre de la même année : « L’œil droit a si grande hâte d’imiter son voisin l’aveugle, que j’éprouve aujourd’hui toutes les difficultés du monde pour lire en plein jour avec des lunettes ; les verres de Leipzig et de Nuremberg m’assistent désormais tout autant que des béquilles cassées le pourraient faire ; j’en attends de Munich qui n’arrivent jamais. À l’heure qu’il est, de bonnes lunettes anglaises m’ouvriraient le ciel, je veux dire mes livres. L’assistance d’une main étrangère que je suis obligé d’invoquer vous prouve assez de quel prix est pour moi ce que je vous demande, en ce moment surtout que les jours et ma vue semblent se donner le mot pour décroître en même temps et conspirer contre moi. »

À cette infirmité envahissante vint se joindre, vers le commencement de 1825, un épuisement complet de toutes les forces. Jean-Paul travaillait alors à son livre sur l’immortalité de l’ame, qui parut depuis sous le titre de Selina, et s’occupait en outre d’une édition définitive de ses œuvres où la logique des faits serait substituée au hasard, où la classification méthodique remplacerait l’ordre chronologique. Une semblable tâche était déjà au-dessus de ses forces. Jean-Paul ne tarda pas à s’en apercevoir et s’adressa à son neveu Otto Spazier, qu’il fit venir de Dresde pour l’assister. « Je rêve déjà, écrivait-il vers l’automne de 1825, des jours délicieux dans votre compagnie ; le matin jusqu’à dix heures vous sera laissé pour vos études particulières, puis je vous demanderai de m’assister à rassembler les intercallations et les notes que je destine au libraire, et de