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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/777

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RICHARD.

l’ai pu, j’ai veillé sur votre abandon ; chaque année, je vous ai rendu votre mère ; jamais je n’offensai vos regards, je me suis tenu humblement dans l’ombre ; vous ne m’avez jamais rencontré dans votre chemin. Qu’auriez-vous dit, qu’auriez-vous fait, si, cédant à des vœux insensés, je n’avais pas craint de vous infliger le supplice de ma présence ?

— Je vous aurais tué, répondit froidement Richard.

— Il en est temps encore, répliqua M. de la Tremblaye ; veuillez seulement m’écouter jusqu’au bout. Quand j’entendis pour la première fois prononcer votre nom dans le monde, et que vous m’apparûtes, triste, sombre et vêtu de noir, je compris tout, et j’entrevis avec effroi la destinée qui vous attendait. Vous étiez sans guide, sans soutien ; à votre insu, je vous suivis d’un pas inquiet. J’étudiai votre mal ; je m’imposai la tâche de le soigner et de le guérir. Je vous confondis, vous et ma sœur, dans le même amour. Vos douleurs ont traversé mon ame avant d’arriver à la vôtre. J’ai porté votre croix ; j’ai bu en même temps que vous à la coupe de vos amertumes. Le jour où vous fûtes blessé, ce n’est point le hasard qui m’a fait vous rencontrer au bois : j’étais aussi bien que vous-même au courant de votre existence. Est-il besoin de vous dire mes angoisses et mes tortures ? Le coup qui vous frappa me frappa ; mon sang ne coula pas, mais le vôtre tomba sur mon cœur en gouttes brûlantes. Dieu me donna la joie de pouvoir vous sauver. J’espérais que vous ignoreriez à jamais le lien qui existait entre nous ; j’essayai de gagner votre affection, j’y réussis peut-être. Cependant ma sœur achevait de grandir en graces de tout genre, et je me disais qu’elle serait l’ange d’une réconciliation mystérieuse, le prix de vos labeurs, la réparation du passé, le gage de l’avenir. Je vous laissai partir, je savais que vous me reviendriez ; Richard, vous êtes revenu. J’avais, durant votre absence, préparé ma sœur à vous aimer ; vous avez achevé mon œuvre. J’ai vu l’amour se glisser dans son cœur ; j’ai vu le vôtre se relever et prêt à fleurir. Nobles enfans, vous étiez dignes l’un de l’autre ! Par quelle fatalité, quand j’allais toucher au but de mes rêves, avez-vous surpris le secret que je croyais enfoui dans mon sein ? Je ne sais ; mais, quoi que décide votre haine, monsieur de Beaumeillant, je suis prêt.

— Ah ! malheureux, s’écria Richard avec un affreux désespoir, je ne puis vous haïr.

Puis, attéré sous le coup des paroles qu’il avait entendues, M. de Beaumeillant resta muet. C’était donc là cet homme qu’il avait si