Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/799

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
795
DU CRÉDIT ET DES BANQUES.

et vous n’y trouverez rien d’imaginaire ou de fictif. Une société puissante, solidement constituée, très solvable d’ailleurs, s’oblige par un acte à payer à vue et au porteur une somme déterminée, et elle la paie en effet aussitôt qu’on se présente. Où donc est la fiction ? Qu’y a-t-il, au contraire, de plus vrai, de plus réel, de plus palpable ? Certes, un semblable billet ne remplace pas l’argent, et les circonstances même du fait le prouvent : aussi le nom de monnaie ne lui est-il pas applicable ; mais il n’est pas non plus une fiction, puisque toutes ses promesses se réalisent. C’est donc en somme une dénomination doublement fausse que celle de monnaie fictive. Il n’y a rien de plus abusif que cet accouplement de mots, si ce n’est peut-être les conséquences forcées que l’on en tire.

Si quelquefois ces expressions de papier monnaie ou de monnaie fictive sont applicables, c’est lorsqu’il s’agit de ces obligations suspectes, de ces promesses mensongères, dont les gouvernemens autorisent quelquefois l’émission dans les momens de détresse, pour réparer, aux dépens du public, les torts de leur conduite ; papiers sans valeur, puisqu’ils ne portent avec eux aucune garantie d’un paiement dans l’avenir, et auxquels des lois spoliatrices prétendent néanmoins donner un cours forcé. Tels furent les billets de la banque de Law au temps de la chute du système ; tels furent aussi plus tard les assignats. On aurait pu, dans une certaine mesure et sauf quelques restrictions nécessaires, attribuer le même caractère aux billets de la banque de Londres et à ceux des banques américaines, dans le temps où les paiemens en numéraire étaient suspendus dans ces deux pays. De tels billets ne peuvent être considérés comme des obligations, puisqu’ils n’obligent pas en effet ceux qui les émettent. Ils n’ont plus rien de commercial, puisque toutes les lois du commerce sont méconnues, violées à leur endroit. Tout est fiction, tout est mensonge dans ces billets ; les engagemens qu’ils portent ne sont qu’un leurre, les sommes qu’ils indiquent un simulacre vain. Ils sont d’ailleurs destinés, au moins dans la pensée de ceux qui les autorisent, à remplacer en effet la monnaie, puisqu’ils sont réputés tenir lieu de la monnaie elle-même. C’est donc à de tels billets qu’on peut à bon droit appliquer les noms de papier monnaie ou de monnaie fictive. Et quel autre nom donnerait-on à ce qui échappe à toute désignation honnête ? Mais alors ces dénominations doivent être appliquées comme des flétrissures et porter avec elles l’arrêt d’une réprobation sévère. On l’a dit avec raison, la création d’un tel papier peut être considérée comme le dernier terme de l’altération des monnaies. C’est lorsque les gouvernemens ont recours à ces expédiens déplorables que l’on marche droit vers les abîmes.

Il faut dire cependant, pour être juste, que plusieurs économistes, et parmi eux ceux qui passent pour les plus sages, et dont l’opinion sur cette matière a plus de poids, repoussent ainsi que nous ces faux rapprochemens, ces dénominations abusives ; mais ce n’est peut-être de leur part qu’une inconséquence de plus. S’ils ne reconnaissent pas aux billets de banque le caractère de la monnaie, s’ils leur refusent même le nom de papier monnaie ou de monnaie fictive, ils n’admettent pas moins, et d’une manière absolue, qu’ils