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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/850

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REVUE DES DEUX MONDES.

L’une, c’est qu’on accuserait à tort M. de Lamartine de mauvaise foi et de versatilité intéressée. Avec une ame élevée et une imagination ardente, on n’est jamais de mauvaise foi. On s’abuse : on peut se laisser tomber dans des erreurs graves, on peut se laisser entraîner bien loin ; mais un égarement même déplorable ne doit jamais être confondu avec un bas ou perfide calcul. S’il avait agi par calcul, M. de Lamartine aurait certes choisi un tout autre moment, une tout autre circonstance pour passer à l’opposition.

Notre seconde remarque s’adresse à M. de Lamartine lui-même. Quelles que soient la variété de ses vues et l’ardeur de ses convictions, l’illustre écrivain ne peut oublier que la vie publique, pour être réelle et sérieuse, suppose certaines conditions, en particulier une tenue, une consistance politique, qui inspirent la confiance, cette confiance durable et réfléchie qu’il ne faut pas confondre avec des applaudissemens d’un jour et un dévouement éphémère. N’est pas chef de parti qui veut ; le talent et l’éloquence, moyens puissans, ne suffisent cependant pas à la conquête de ce poste élevé. Les partis sont plus exigeans ; leur instinct les avertit qu’ils n’ont pas seulement besoin d’orateurs. Le chef d’un parti en est à la fois le guide et le serviteur, la lumière et l’instrument. Celui qui ne conçoit pas le second de ces rôles, celui qui tient avant tout à faire toutes ses fantaisies, peut être un orateur éminent ; il n’est pas un de ces hommes politiques sur lesquels les partis fondent leurs plus sérieuses espérances. Nous verrions avec douleur M. de Lamartine dissiper les trésors de son esprit et parcourir rapidement cette voie qui aboutit, après de nombreuses et vaines tentatives, après une alternative fébrile de revers et de succès, aux plus cruelles déceptions et à une chute irréparable. M. de Lamartine passe à la gauche. Soit. Il ne nous appartient pas d’applaudir à sa résolution, et nous ne voulons pas moraliser sur les variations de sa politique ; mais les hommes de tous les partis ont le droit de se demander si c’est là une résolution sérieuse, profondément réfléchie, ou bien une boutade, un écart de l’imagination stimulée par le dépit. L’opposition ne tardera pas à le mettre à l’épreuve, et à dissiper par là tous les doutes.

Le doute n’est pas possible, ce nous semble, au sujet de l’autre événement bien plus important, bien plus grave, qui s’est révélé dans la discussion de la loi de régence. M. Thiers et M. Barrot se sont séparés, ils se sont séparés avec éclat, et, quoi qu’on ait essayé de dire après coup, ils ne se sont pas séparés sans aigreur. Nous n’en avons d’autres preuves que le Moniteur, que les discours de ces deux hommes politiques ; mais cette preuve est complète à nos yeux.

Il est facile de remonter aux véritables causes de la rupture. Au fait, s’il y avait coalition entre la gauche et le centre gauche, il n’y avait pas, il ne pouvait pas y avoir confraternité. Les deux partis s’étaient juxta-posés ; ils ne s’étaient pas fondus dans un seul et même tout. Comment aurait-il pu en être autrement ? Où était cette affinité, cette identité d’opinions qui est le caractère distinctif d’une véritable alliance politique ? Il n’y avait affinité que sur un point, sur les questions relatives à la politique extérieure. Sur tout