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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/899

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UN POINT D’HONNEUR.

tion précis. Il inclinait pour la doctrine de l’utile. Cette dissidence principale, ainsi qu’une foule d’autres qui en découlaient, offrait un thème inépuisable à leurs controverses. Mais, quelque animées que fussent ces dernières, elles se terminaient toujours dans l’effusion d’un cordial attachement. Battu d’ordinaire par les chaleureux plaidoyers de l’artiste, Julien avouait et supportait sa défaite de la meilleure grace du monde.

Ils passaient habituellement leurs soirées ensemble, soit dans le salon de quelques artistes ou écrivains célèbres, soit à l’Opéra, dont ils étaient de zélés partisans. Les deux amis apportaient dans ces réunions les contrastes de leurs caractères et de leurs vues, se tempérant l’un par l’autre dans ce que chacun avait d’excessif. Albert ne possédait pratiquement que son art, qui formait son occupation exclusive, mais son esprit vif et pénétrant, son ame d’artiste, l’initiaient sans peine à tous les autres. Il en parlait avec goût à l’occasion. Bien qu’il ne sût point la musique, il l’aimait avec une passion exquise. À l’Opéra, d’ailleurs, Albert se rencontrait avec des hommes de toutes sortes de talens ; il y échangeait des paroles amies avec les peintres et les sculpteurs de sa connaissance. Les jours de grande représentation, à l’heure où le foyer s’emplit, Albert prenait un rôle qui ne laissait pas d’être brillant. Au milieu des entretiens suscités de toutes parts, il se faisait le champion de la sculpture. Adossé à la cheminée, il discourait sur l’art des Puget et des Canova avec cette parole vive, brillante, passionnée, qui lui était familière. Il rompait volontiers des lances avec tout venant. Son accent avait je ne sais quoi de pénétrant et d’ému qui subjuguait ; on faisait cercle autour de lui pour l’écouter. Julien aimait à voir ainsi briller son ami, il jouissait intérieurement de son triomphe. Placé à côté de lui, il faisait contraste par son attitude impassible, par son langage bref et sentencieux. Selon que les vues émises par Albert se rapprochaient ou s’éloignaient de ses propres convictions, il appuyait l’impétueux discoureur par un mot juste et précis lancé à propos, ou l’éperonnait légèrement par quelque contradiction. Julien prenait tant de plaisir à voir son ami vaincre dans ces joutes, même à ses dépens, qu’il ne cessait de l’y convier, et entraînait l’artiste plus que celui-ci n’aurait voulu.

Depuis quelque temps, Albert avait entrepris la solution d’un problème qui tentait singulièrement son esprit amoureux d’art. Il ne lui suffisait pas de remonter jusqu’à la pureté de trait, jusqu’à la perfection idéale du ciseau grec ; il voulait marier la tradition attique avec la ligne particulière trouvée par Michel-Ange, et, marquant cette