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est personnifiée l’Italie. Si ce n’est pas là encore une vengeance, c’est au moins un souvenir.

Malgré ses huit tragédies et son précoce amour d’écolier pour le théâtre, nous croyons que Pellico s’est mépris sur sa vocation : il n’a pas, à notre avis, le génie dramatique, ou du moins il ne l’a pas assez. Nous n’entendons pas formuler un blâme absolu : c’est une question d’aptitude. On peut être inférieur dans un genre et supérieur dans un autre ; l’important est de se bien connaître pour ne pas s’exposer à faire fausse route. Il est à craindre que Silvio ne se soit pas bien connu. D’abord ses drames manquent d’ampleur et d’action ; ensuite les mœurs n’y sont pas suffisamment étudiées. Je ne tiens pas beaucoup à ce qu’on appelle la couleur locale, mais encore faut-il savoir où l’on est et dans quel milieu se développent les passions mises en scène. Ses personnages ne vivent point d’une vie propre et ne se distinguent pas assez les uns des autres. On voudrait voir le sang couler dans leurs veines, leur cœur battre sous le fer ou la soie. Enfin, et c’est là notre plus grave reproche, les caractères ne sont pas creusés profondément, de manière à faire jaillir de nouvelles sources d’émotion. La vengeance, l’ambition, l’amour, sont des passions trop fortes pour cette ame douce et plaintive ; elle comprend et peint mieux les sentimens calmes de la famille ; or, la terreur et la pitié, ces deux grandes puissances de la tragédie, ne viennent guère s’asseoir au foyer domestique. En général, que Silvio demeure enfermé dans la vie privée ou soit conduit par la muse sur la place publique, ses horizons sont bornés ou du moins connus, ses points de vue manquent à la fois d’étendue et de variété ; en un mot, il ne nous apprend rien sur le cœur humain.

Sous le rapport de la forme, il est de l’école de son compatriote Alfieri[1]. C’est la même sobriété de personnages et d’incidens, moins la vigueur et aussi moins la raideur. Alfieri a donné un théâtre à l’Italie, et en ce sens il est créateur, bien qu’il ait jeté ses conceptions dramatiques dans les moules grecs et accepté dans toute sa rigueur la règle des unités. S’il était asservi à la forme, il était libre par l’idée ; tout en ressuscitant des sujets classiques auxquels peut-être il aurait mieux valu ne plus toucher, il n’a pas craint de puiser abondamment dans l’histoire moderne et notamment dans l’histoire italienne. Ses compatriotes se sont montrés reconnaissans à l’excès

  1. « Dans ma jeunesse, dit-il, j’avais follement espéré que je pourrais un jour me faire une place pas trop loin d’Alfieri. » Mie Prig., cap. ined., XII.