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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/939

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE L’ITALIE.

quelles que soient les préventions qu’on ait contre lui, il est impossible de n’être pas désarmé en lisant son livre. Diderot n’aurait pas fait son ami, disait-il, d’un homme qui n’eût point aimé Clarisse Harlowe ; de même, indépendamment de toute opinion, on ne peut s’empêcher de protéger de ses sympathies contre l’injure et la colère l’ouvrage et l’auteur. Les caractères énergiques, les natures courageuses, trouvent, nous le savons bien, que c’est pousser trop loin la mansuétude et la résignation ; peut-être n’ont-ils pas tort, mais il y a dans le cœur des cordes qui vibrent en dépit de toutes les protestations de la volonté. L’attendrissement vous surprend malgré vous, il vous entraîne, et, si sévère qu’on soit ou qu’on veuille paraître, on pardonne à l’homme qui a tant pardonné après avoir tant souffert. Aigle ou colombe, l’oiseau captif intéresse. Il est sur les hauteurs morales des régions neutres où l’ardeur des partis s’apaise et où les grandes fibres de l’humanité palpitent à l’unisson.

Les Prisons sont, comme on l’a dit, un livre di grandi verità e di grandi lacune, plus instructif, plus terrible peut-être par ses lacunes que par ses vérités ; et certes c’est bien à lui que l’on peut appliquer le mot de Montaigne : « C’est icy un livre de bonne foy. » On ne peut soupçonner d’exagération l’écrivain dont la parole est si constamment modérée, et l’on ne saurait vraiment dire si l’ouvrage n’aurait pas perdu plutôt que gagné à être écrit plus librement. La réserve même de Silvio fait sa force, et l’effet eût été moins grand s’il eût été cherché. L’émotion a gagné tous les partis, même les plus hostiles, tous les rangs, tous les âges. Que de larmes les femmes ont données à l’homme et au livre ! On ne s’attend pas sans doute à ce que nous entreprenions l’analyse d’un ouvrage qui est dans toutes les mémoires. Il ne s’agit pas ici d’une œuvre littéraire ; le livre est écrit comme il devait l’être, simplement, sobrement, comme une confession, comme une lettre de grace. Nous avons dit notre impression avec sincérité ; à ceux qui nous imputeraient à crime notre sympathie, nous ne ferons qu’une réponse : relisez-le.

Depuis son retour en Italie, Pellico a renoncé entièrement à des préoccupations politiques qui peut-être n’ont jamais joué dans sa vie un rôle considérable. Ses amitiés, ses relations quotidiennes, le rendirent suspect au gouvernement autrichien bien plus sans doute que ses propres actes, et la condamnation fut d’autant plus cruelle qu’elle était hors de toute proportion avec le prétendu crime, dont il était accusé. On punit en lui des vœux, des paroles peut-être ; mais le corps du délit, où était-il ? Au reste, quelles qu’aient pu être autrefois