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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

rant de le vaincre, avaient pris le parti de le supporter, tantôt faisant une guerre vive et acharnée à ces tribus indépendantes quand elles devenaient trop incommodes par leurs courses, tantôt traitant avec elles et rachetant les femmes et les enfans prisonniers. Ainsi nous voyons, en 401, au concile de Carthage, les évêques de la Mauritanie demander s’il fallait baptiser les enfans qu’on rachetait des barbares, ne sachant pas s’ils avaient été baptisés autrefois. L’Afrique romaine rachetait sans scrupule ses captifs de l’Afrique barbare, comme l’Europe chrétienne a long-temps aussi racheté les esclaves que faisaient les pirates barbaresques.

En faisant le tableau de la vie des colons en Afrique dans le Ve siècle de l’ère chrétienne, sous saint Augustin, après plus de cinq cents ans de domination romaine, je ne veux pas donner cet état de choses pour un modèle qu’il faille désespérer de surpasser. Je veux seulement, à l’aide des conseils de l’histoire, calmer les plus impatiens de nos civilisateurs. Je veux montrer que la sécurité de la vie européenne est une chimère en Algérie, après douze ans à peine de domination française, puisqu’après cinq cents ans de domination Rome avait encore des colons pillés, des femmes et des enfans emmenés captifs. Nous pouvons faire mieux que les Romains ; mais, pour faire mieux qu’eux, il faut d’abord faire comme eux ; il faut, pour les surpasser, commencer par les imiter, et les imiter surtout dans cette sagesse qui ne veut pas l’impossible.

Les détails que nous trouvons dans les œuvres de saint Augustin sur l’Afrique civilisée ne sont pas moins curieux que ceux que nous trouvons sur l’Afrique barbare, et ils sont plus nombreux. Nous ne prendrons que ceux qui nous sembleront caractériser la nature africaine, telle qu’elle se montre sous l’enveloppe de la civilisation romaine. En effet, ce n’est pas la civilisation du monde au Ve siècle que nous voulons étudier, c’est l’Afrique, tantôt sous sa forme barbare, tantôt sous sa forme civilisée.

Carthage n’a jamais eu rien de la Grèce : la Grèce en Afrique n’avait jamais été au-delà de Cyrène ; c’est là qu’elle s’était arrêtée, et cette civilisation grecque si vive et si remuante, qui s’était partout installée sur les côtes de la Méditerranée, depuis la Gaule jusqu’à la Crimée dans le Pont-Euxin, n’avait pas pu, en Afrique, s’avancer au-delà de la grande Syrte. Carthage, soit par ses anciens fondateurs, soit par ses nouveaux (Auguste l’avait rebâtie vingt-neuf ans avant Jésus-Christ), Carthage était tout-à-fait étrangère aux idées et aux mœurs de la Grèce ; elle était aussi latine par le langage ; peu de per-