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FEU BRESSIER.

d’attendre que nous fussions assez endormies pour qu’elle pût sans risque le recevoir chez elle ; car on ne peut aller à sa chambre sans traverser un corridor qui longe la mienne. Comment expliquer autrement, dit ma mère, la présence dans le salon d’un homme qui ne vole rien, le trouble de Célestine encore habillée à cette heure ?

« Je partageais un peu l’opinion de ma mère ; je ne sais quel instinct secret me fit désirer d’interroger ma femme de chambre sans témoins. Lorsque ma mère m’eut quittée, je la sonnai et lui dis sévèrement :

— Célestine, on a trouvé cette nuit un homme dans le salon ; ce n’était pas un voleur ; vous étiez encore habillée à une heure à laquelle on devait vous croire couchée déjà depuis quelque temps, vous avez paru troublée et confuse. Vous savez quel est cet homme, et j’exige que vous me le disiez.

— Mais, madame…

— N’essayez pas de mentir.

— Eh bien ! madame, c’était… M. Fernand.

M. Fernand !… m’écriai-je ?

« À ce moment ma mère rentra ; je fis signe à Célestine de sortir, ma mère me demanda si elle avait avoué.

— Je ne lui ai encore rien dit, répondis-je.

— Mais tu es tout émue ?

— C’est que j’allais parler… et cela m’embarrasse un peu. J’ai remis l’interrogatoire à ce soir.

— Oui, … et tu te laisseras toucher ; tu la garderas.

— Mon Dieu ! ma mère, entre tous les défauts qu’il faut avoir à son service dans une domestique, c’est celui pour lequel j’ai le plus d’indulgence, je vous l’avoue.

« Et je me laissai aller à une longue plaidoirie philosophique. Je parlai des vertus surhumaines qu’on veut exiger des domestiques pour vingt francs par mois, le prix tout au plus d’un vice très ordinaire. Je blâmai les femmes qui sont si furieuses de voir un amant à leur femme de chambre, que leur colère a presque l’air d’être de l’envie ; j’ajoutai que, sous les autres rapports, j’étais contente de Célestine. Je finis presque par convaincre ma mère, qui me dit : Fais ce que tu voudras.

« Me voilà seule et je pense avec vous, ma chère amie. Vous rappelez-vous que j’attribuais à la timidité les contradictions que je remarquais dans la conduite de Fernand à mon égard ? Elle est jolie, sa timidité ; je l’admirerais fort si je ne devais admirer encore plus la profondeur de ma dissimulation. Hélas ! rien de ce qui se passait