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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/458

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REVUE DES DEUX MONDES.

rait et surtout redemandait un cheval. Il fallait céder sur tous les points, parce que le duc Ernest affirmait que, malgré sa répugnance à user de rigueur, il ne rendrait pas la princesse tant que le moindre de ses sujets aurait à se plaindre de la moindre lésion. La dent et les bretelles avaient été parfaitement reconnues et acceptées.

On retrouva la beauté qui avait autrefois donné une boucle de ses cheveux ; elle était devenue ouvreuse de loges au théâtre de Microbourg, mais elle avait cinquante-trois ans, et ses cheveux étaient complètement blancs. On lui demanda de quelle couleur précisément avaient été ses cheveux. Elle répondit qu’elle avait eu les cheveux de deux couleurs avant la troisième, qui était la couleur actuelle : d’abord d’un certain blond clair ; ensuite d’un autre certain blond un peu plus foncé.

On lui demanda de quel blond ils étaient quand elle en avait donné une boucle à un homme qu’elle avait aimé. Elle répondit qu’elle avait donné plusieurs boucles des deux couleurs à plusieurs hommes qu’elle avait aimés. On lui désigna alors l’heureux mortel. Elle rassembla ses souvenirs et dit : C’est de ma première couleur.

— Donc, dit un des conseillers, c’était blond clair ? J’ai précisément une fille qui a les cheveux blond clair.

— Mais, dit la vieille, je vous ai expliqué que c’était d’un certain blond clair, et, en effet, je n’ai jamais vu depuis des cheveux de la nuance des miens. C’est une nuance que la nature paraît avoir perdue, comme on dit que les peintres ont perdu l’ancien rouge des vitraux et l’ancien bleu des enluminures des missels.

— Comment faire ? demanda le conseiller.

À force de réfléchir, on convint de donner 10 florins par jour à la vieille pour qu’elle cherchât des cheveux de la nuance précise qu’avaient eue les siens. La vieille se mit d’abord à chercher ; mais, comme elle avait de la finesse dans l’esprit, elle fit le raisonnement que voici : Voici trois jours que je cherche à 10 florins par jour, et que je ne trouve pas ; si j’avais trouvé aujourd’hui, je ne chercherais pas demain, et demain je ne recevrais pas 10 florins. On me paie pour que je cherche et non pour que je trouve ; mais, à force de chercher, il n’est pas impossible qu’on finisse par trouver, un jour ou un autre. Chercher et ne pas trouver, c’est comme si on ne cherchait pas ; donc je puis, sans trop mentir à ma conscience, ne pas chercher du tout, ce sera plus sûr.

Au bout d’un mois, le conseiller se douta de la chose.

Au moment où le prince Céderic CXXVII se désolait tout-à-fait,