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REVUE DES DEUX MONDES.

Faible autant que serait l’ame de quelque femme,
Qui ne peut accomplir ce qu’elle a commencé
Et s’abat au départ sur tout chemin tracé.
L’idée à l’horizon est à peine entrevue,
Que sa lumière écrase et fait ployer ma vue.
Je vois grossir l’obstacle en invincible amas,
Je tombe ainsi que Paul en marchant vers Damas.
— Pourquoi, me dit la voix qu’il faut aimer et craindre,
Pourquoi me poursuis-tu, toi qui ne peux m’étreindre ?
— Et le rayon me trouble et la voix m’étourdit,
Et je demeure aveugle et je me sens maudit. »

III.

« — Non, criai-je en prenant ses deux mains dans les miennes,
Ni dans les grandes lois des croyances anciennes,
Ni dans nos dogmes froids, forgés à l’atelier,
Entre le banc du maître et ceux de l’écolier,
Ces faux Athéniens dépourvus d’atticisme,
Qui nous soufflent aux yeux des bulles de sophisme,
N’ont découvert un mot par qui fût condamné
L’homme aveuglé d’esprit plus que l’aveugle-né.


C’est assez de souffrir sans se juger coupable
Pour avoir entrepris et pour être incapable.
J’aime, autant que le fort, le faible courageux
Qui lance un bras débile en des flots orageux,
De la glace d’un lac plonge dans la fournaise
Et d’un volcan profond va tourmenter la braise.
Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri,