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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/246

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camp ; ceux-ci voulaient occuper sans retard les fertiles plaines abandonnées par Moselekatse, ceux-là persistaient dans le dessein de rejoindre Triechard à Delagoa-Bay. C’était l’avis de Retief. Placés entre la mer et les montagnes, les Hollandais pourraient résister plus facilement aux attaques des sauvages et aux poursuites des Anglais ; en sa qualité de général en chef, il adressa donc au gouvernement du Cap la lettre suivante : « Le soussigné, commandant en chef des camps-unis, expose humblement que nous, colons, comme sujets du gouvernement anglais, avons, dans ces circonstances fâcheuses, fait connaître nos maux à plusieurs reprises au gouvernement de sa majesté ; mais, ayant trouvé que tous nos efforts pour obtenir justice restaient sans succès, nous avons enfin résolu d’abandonner le lieu de notre naissance, afin d’éviter de nous rendre coupables d’aucun acte qui pût être considéré comme un grief à l’égard de nos gouvernans. Cet abandon de notre pays nous a occasionné des pertes incalculables ; malgré cela, nous ne nourrissons aucune haine contre la nation anglaise, et, pour rester d’accord avec ces sentimens, le commerce entre nous et les marchands anglais sera, de notre part, librement établi et encouragé, tout en comprenant bien que nous sommes reconnus comme peuple indépendant et dégagé de tout lien d’obéissance. »

Cette déclaration était claire : les émigrans établis en pays neutre secouaient le joug de l’Angleterre, qui les avait, la première, abandonnés à leur sort, et ils voulaient se constituer en état libre, d’après les lois qui régissent les républiques unies de l’Amérique du Nord. Il y avait dans cette résolution, franchement exprimée, quelque chose d’audacieux et de chevaleresque ; trente années passées sous le joug de l’Angleterre n’avaient rien changé dans l’esprit patriotique des Hollandais. — Peu de temps après, Retief et les siens parvinrent à franchir les monts Quathlamba ou Draakenbergs ; voyage long et fatigant qui les amena dans le pays de Dingaan, roi de toutes les tribus zooloos, avec lequel ils voulaient traiter de la cession du territoire convoité à Port-Natal. Mais un roi des Mantatis, Sikonyela, ennemi de Dingaan (dont il avait pu jusqu’ici éviter de subir le joug en se retirant derrière les montagnes, aux sources de Nu-Gareep River), ayant enlevé une partie du bétail des Zooloos, vint à passer non loin du camp de Retief. Dingaan put croire que les émigrans avaient pris part à l’incursion de son ennemi, et leur commandant dut se rendre au plus vite près du despote pour se disculper, car les apparences étaient contre lui ; il était important d’empêcher toute rupture au moment où la grande question paraissait sur le point d’être décidée.