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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

d’un costume scénique, qui se jette aux pieds de Philippe II, en lui disant : « Donnez-nous la liberté de la pensée. » Et peut-on s’étonner si le roi s’écrie, en voyant ces suppliques « Singulier rêveur ! »

« Le petit nombre d’Allemands qui ont eu le courage de se faire les avocats de leur patrie, de représenter ses droits politiques, sont devenus les victimes de l’inquisition d’état, par suite de la lâcheté de notre style politique.

« Autant le style allemand est lâche quand il s’agit de faire valoir un droit politique, autant, il est humblement sot quand il doit encenser le pouvoir des grands. Qu’un prince s’avise par hasard de dire : Je veux exercer la justice, à l’instant même voilà un essaim d’écrivassiers qui se précipite sur ces mots, comme des abeilles sur une goutte de miel, et tressaille de joie sur cette découverte faite dans le désert. Y a-t-il rien de plus offensant pour un prince que de louer et de proclamer par toutes les trompettes des journaux comme une vertu extraordinaire une simple volonté sans laquelle il mériterait d’être appelé un Néron ? Et ce sont des journaux officiels qui répètent sous les auspices de la confédération, sous les yeux des censeurs, de pareilles louanges ! Ne devrait-on pas appliquer dans toute sa sévérité le paragraphe 92 du code criminel à de tels prôneurs ?

« Voyez comme le style politique et les pensées qu’il doit exprimer sont négligés dans ces écoles que M. Cousin a tant louées ! On devrait y prendre garde ; on devrait obliger du moins chaque étudiant de l’université à écrire à la fin de ses cours un article pour la gazette d’état. »

Tandis que, dans une des grandes villes de la Prusse, M. Wasselrode se moque ainsi en plein auditoire de l’Allemagne entière, à Munich, le roi de Bavière, qui, entre autres prétentions démesurées, a celle de vouloir se faire considérer comme un grand poète et un habile prosateur, compose les biographies des personnages auxquels il a décerné dans son Walhalla les honneurs de l’immortalité, et un ordre émané de toutes les chancelleries prescrit à tous les censeurs de l’Allemagne d’empêcher qu’on parle de ce livre dans les recueils périodiques et les journaux quotidiens. Le voilà placé de fait à l’état des livres condamnés par l’index, et c’était en vérité le plus grand service qu’on pût lui rendre ; car cet ouvrage est écrit avec si peu de respect pour les plus simples règles de la grammaire, qu’un professeur allemand me disait : Si un des élèves de nos écoles élémentaires remettait à son maître une composition faite dans ce style-là, il mériterait qu’on lui donnât le fouet. » Pourquoi donc proscrire l’enseignement de la langue française dans les écoles de Bavière, quand on maltraite ainsi la langue allemande ? Le roi Louis serait-il jaloux par hasard du style de Montesquieu et de Bossuet ? Sur ma foi, il aurait en ce cas bien de la bonté, car il est inimitable dans son genre.

À Zurich, un jeune poète allemand[1], proscrit par le conseil d’état de sa principauté, compose un recueil de chansons démagogiques, fougueuses,

  1. Gedichte von Herveg, 1842.