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sives. Jusqu’à 1840, le mouvement, l’impulsion, la nouveauté, l’esprit d’opposition, tout ce qui fait le succès des journaux en général a été du côté des révolutionnaires. Depuis l’avénement de la nouvelle régence, les rôles ont changé. Maîtres du pouvoir, les exaltés ont voulu se modérer, se ménager, ils se sont embarrassés dans les restrictions et les tempéramens ; leur journal s’est décoloré. Les modérés, au contraire, ont eu de leur côté la passion, la colère, l’ardeur de l’attaque, le courage, la menace, la liberté : leur journal a grandi.

Depuis quelque temps, l’Heraldo est soutenu par un nouveau journal de la même couleur et qui s’appelle modestement le Soleil (el Sol). Ces deux journaux sont les mieux faits de Madrid sous tous les rapports. Leur format est celui du Journal des Débats : ils sont mieux imprimés que les autres ; leur papier est meilleur, leurs caractères sont plus neufs. Leurs rédacteurs ont un véritable talent pour la polémique, et ils montrent en outre un courage extraordinaire. Peut-être peut-on leur reprocher, comme aux Espagnols en général, un peu trop d’emphase dans les formes et de vague dans les idées ; les qualités solides de l’écrivain politique, celles qui tiennent à la connaissance des affaires, aux fortes études de droit public et d’économie politique, manquent encore à la plupart des journalistes espagnols, et ce n’est pas étonnant : ces qualités sont celles qui viennent les dernières et après une longue pratique de la discussion ; mais pour tout ce qui est abondance, énergie, vivacité, ressources d’esprit, inspiration passionnée, ironie mordante, enfin pour tout ce qui constitue la polémique proprement dite, l’Heraldo et le Sol sont égaux, sinon supérieurs, à leurs aînés de France et d’Angleterre.

Ce qu’on appelle la littérature n’est pas négligé dans ces journaux. Le système des romans-feuilletons y est fort en usage. L’Espagne a suivi de près la France dans cette voie. Du reste, c’est presque toujours la littérature française qui alimente cette portion des journaux espagnols. En ce moment, l’Heraldo et le Sol donnent tous les deux à leurs lecteurs des romans-feuilletons traduits du français. Nous aimons mieux, nous l’avouons, les articles sur les théâtres, les courses aux taureaux, etc., qui paraissent quelquefois dans l’un et dans l’autre, et qui ont pour nous beaucoup plus de saveur nationale. En général, s’il est à la fois un éloge et un reproche à faire à l’Heraldo et au Sol, c’est qu’ils ressemblent beaucoup à des journaux français ou anglais ; le plus souvent c’est un bien, quelquefois c’est un inconvénient.

Après ces organes des deux grands partis qui divisent l’Espagne, vient une espèce de journaux particulière au pays : ce sont ceux qui n’appartiennent en propre à aucun parti, et qui sont également critiques envers l’un et l’autre. Tels sont le Corresponsal (le Correspondant), et le Castellano (le Castillan). Aujourd’hui, ces deux journaux se rapprochent beaucoup du parti modéré, mais ils ont toujours fait et ils font encore bande à part. Celui des deux qui a le plus de succès est le Castellano ; son titre est le plus national de tous, et sa rédaction est comme son titre. C’est un petit journal dégagé,