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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/611

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VAILLANCE.

— Que le diable emporte les amours ! ajouta Jean avec un geste de colère.

— Adieu ! adieu ! s’écria sir George d’une voix déchirante, en s’arrachant des bras de Joseph ; pour la dernière fois, adieu !

À ces mots, il sortit d’un air égaré, se précipita dans la cour, se jeta sur la selle du cheval qui l’attendait, et, suivi d’Yvon, partit au galop pour ne s’arrêter qu’à Saint-Brieuc.

Cependant, que faisait la jeune fille ? La joie est, comme la douleur, amie du silence. Jeanne, en rentrant au Coät-d’Or, s’était retirée dans sa chambre, et, tandis que sir George s’éloignait de ces lieux pour n’y plus revenir, l’enfant s’emparait avec ivresse du bonheur qui lui échappait ; elle s’abandonnait follement aux promesses de l’avenir, elle élevait avec complaisance l’édifice gracieux de sa destinée. À cet âge, l’amour n’entrevoit point d’obstacles ; habituée d’ailleurs à voir ses oncles obéir en esclaves à ses plus frivoles caprices, cette jeune reine pouvait-elle supposer qu’ils résisteraient à un désir sérieux de son cœur ? Il ne lui vint même pas à l’idée d’y songer. Elle refusa de descendre à l’heure du dîner, car telles sont les vraies joies de l’amour, qu’elles préfèrent parfois la solitude à la présence de l’être aimé. Jeanne avait besoin d’être seule pour écouter les mille voix charmantes qui chantaient dans son sein. Pour la première fois, elle prit plaisir à se regarder dans sa glace et à se trouver belle. Elle pleurait et riait à la fois. Elle se jetait sur son lit tout en larmes, puis courait toute joyeuse à sa fenêtre, pour contempler avec un sentiment de reconnaissance la mer, moins vaste et moins profonde que la félicité qui remplissait son ame, cette mer dont elle bénissait les fureurs, car Jeanne se rappelait avec délices la nuit orageuse qu’elle avait passée tout entière, debout, à cette même place, tandis que le canon grondait au milieu des cris de la tempête. — Il est triste, se disait-elle, je le consolerai ; il est pauvre sans doute, je le ferai riche ; il aime la France, je la lui donnerai pour patrie. Il me devra tout, et je serai son obligée. Nous vivrons au Coät-d’Or, nous l’embellirons de nos tendresses mutuelles. Nos oncles achèveront de vieillir près de nous ; notre bonheur les rajeunira, et les caresses de nos enfans égaieront la fin de leurs jours. — À ce tableau, elle battait des mains et se plongeait dans de longs attendrissemens mêlés de pleurs et de sourires.

Yvon la surprit au milieu de ces rêves et de ces transports. Il entra sans bruit, lui remit une lettre à la dérobée, comme si Jeanne