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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/801

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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

ment l’ouvrier aura de déni de justice à essuyer de la part de juges pareils, et dans plus d’une occasion on n’épuisera pas contre lui toutes les rigueurs du droit. Tant que l’entrepreneur tiendra la position dominante, il en sera ainsi : la balance penchera en faveur de l’ouvrier, et les affaires, comme le prouvent les résultats cités, n’iront pas au-delà d’une juridiction de famille. Cependant c’est contre cette situation qu’au nom des travailleurs on s’est récemment élevé. On a demandé que les juges fussent pris moitié parmi les maîtres, moitié parmi les ouvriers, les ouvriers à patente étant considérés comme des maîtres. Ainsi le conseil des prud’hommes serait partagé en deux camps ; ce qui, dans bien des cas, rendrait leur action impossible. Le tribunal de conciliation deviendrait un tribunal passionné, et les entrepreneurs, plutôt que d’en subir la loi, conduiraient les ouvriers, à grands frais, dans toute l’échelle des ressorts supérieurs. D’un instrument de paix, on aurait fait de cette façon un instrument de luttes. Ces prétentions n’ont pas été admises, et Paris attend encore une juridiction des prud’hommes. Les exigences amènent inévitablement de tels résultats : elles servent d’oreiller à l’indolence administrative, qui ne cherche que des prétextes pour s’abstenir de toute innovation. L’ouvrier en porte la peine et recule ainsi, par un caprice puéril, des réformes qui lui seraient profitables.

On le voit, ce qui manque le plus aux classes laborieuses, c’est l’esprit de calcul, c’est de savoir se contenir et se conduire. Avec le temps, cette éducation se complètera. La responsabilité personnelle suppose une expérience personnelle ; aucune tutelle collective ne peut suppléer cette condition. Peu à peu et individuellement, l’ouvrier, averti par ses propres fautes, éclairé par la pratique de la liberté, acquerra les qualités qui lui manquent, s’élèvera à une position chaque jour meilleure. C’est la loi des siècles, et les anomalies actuelles, fort discutables d’ailleurs, ne sont qu’un incident fugitif dans cette marche constante et nécessaire des choses. Le travailleur a eu ses jours d’enfance et d’adolescence ; il aura sa période de maturité. C’est à lui d’entrevoir déjà cet avenir et d’y aspirer. Pour s’en montrer dignes, il faut que les ouvriers éteignent en eux les prétentions inquiètes et sans but, la soif des réformes impossibles, le besoin d’agitations ruineuses. Leur principale force est dans leur modération et dans ce travail lent qui détache incessamment de leur classe des sujets intelligens et laborieux pour les élever dans l’échelle sociale. Ils ont le titre de noblesse des sociétés modernes, le travail ; soldats de l’armée industrielle, leur avancement est dans