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ceptes, débris incohérens de tous les naufrages ; on faisait la liaison tant bien que mal, moyennant une veine de phraséologie philosophique et philantropique à l’ordre du jour. Dans ce vague de direction, le jeune Prosper de Barante s’appliquait à la géométrie, en vue de l’École polytechnique. Un premier échec ne le découragea point ; il insista, et, à un second examen, fut admis. Le goût des mathématiques pourtant survécut peu en lui à ce double effort ; celui des sciences physiques occupa plus long-temps son esprit. Il voyait le monde dans l’intervalle de ses études, et côtoyait parfois quelques petits tourbillons renaissans de coteries littéraires, sans s’y trouver attiré. Il attendait en toutes choses et s’essayait.

Cependant le 18 brumaire s’était accompli ; le gouvernement consulaire inaugurait le siècle. M. de Barante père venait d’être nommé préfet à Carcassonne. C’était un fonctionnaire comme il en fallait à cette renaissance, et comme le chef les recherchait volontiers : homme de justice et d’ordre, nouveau à la fois et ancien, n’ayant pas trempé dans le régime intermédiaire. Ce changement de position dans la famille inclina sans doute le fils vers la carrière politique. Il touchait à sa vingtième année ; un voyage qu’il fit à cette époque en Auvergne, et durant lequel il perdit sa mère, apporta une impression décisive dans sa vie morale, et détermina l’homme en lui. Les Pensées de Pascal, qu’il lut beaucoup à cette heure de crise et sous l’interprétation de cette grande douleur, lui furent (comme j’espère que pour qui les lira de même elles n’ont pas cessé de l’être) salutaires et fortifiantes. Dès ce jour, le jeune homme se trouva l’un de ceux qui ne devaient pas continuer purement et simplement le XVIIIe siècle ; il appartenait déjà d’esprit et de cœur au groupe qui allait avec mesure, mais non sans éclat, s’en séparer.

J’ai hâte d’arriver aux écrits ou nous avons droit de nous étendre. De Carcassonne, M. de Barante père fut envoyé préfet à Genève ; c’était passer d’une ville de province à une cité européenne et à un grand centre. Son fils, dès-lors attaché au ministère de l’intérieur, l’y alla visiter. Coppet et sa gloire, et le fruit d’or à demi défendu, brillaient à deux pas sur la colline. M. Prosper de Barante apportait là des prédispositions toutes particulières, une jeunesse pure et sérieuse, une éducation diverse, un peu inégale, rectifiée par une réflexion précoce, surtout rien de scholaire, rien de cet enthousiasme purement littéraire qui sent sa rhétorique et qui la prolonge au-delà du moment. De bonne heure il avait pu voir la vie sous ses différens aspects ; il savait déjà le monde, et dans les lettres, dès qu’il y appli-