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REVUE. — CHRONIQUE.

ce qu’il ne pouvait leur payer avec des biens terrestres. Où trouverez-vous une hiérarchie pareille à celle de notre église ? Nous avons été dépouillés, persécutés, proscrits, le Saxon a répandu la désolation sur notre terre natale, et cependant, semblable aux superbes temples de Palmyre qui s’élèvent dans le désert, la hiérarchie d’Irlande apparaît toujours avec ses éblouissantes colonnes, les pieds sur la terre, la tête dans les cieux. Les églises ont été ravagées, les ornemens d’or ont été ravis, les murs mêmes ont été renversés, et toujours la hiérarchie surgit majestueuse, puissante et magnifique, comme les songes des archanges qui vivent dans cette éternité au sein de laquelle elle nous mène. Ah ! je bénis la persécution, car elle a fait notre église plus belle et plus sainte. Les autels sacrés de la liberté s’élèveront sous ses portiques, et la jeune Irlande, l’espérance de la patrie, grandira sous son ombre en force et en vertus. »

N’est-ce pas là un poète ? un prophète frémissant sur le trépied ? Ne vous semble-t-il pas entendre, les divins chœurs d’Ahtalie :

Où menez-vous ces enfans et ces femmes ?
Le Seigneur a détruit la reine des cités ;
Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés ;
Dieu ne veut plus qu’on vienne à ses solennités.
Temple, renverse-toi ! Cèdres, jetez des flammes !
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Quelle différence y a-t-il entré Joad déplorant les fortunes tombées de Sion et O’Connell racontant les malheurs de l’Irlande, sinon que le libérateur, comme on l’appelle dans sa patrie, pleure de vraies larmes sur de vraies douleurs ? L’histoire ici dépasse la poésie, la réalité fait pâlir l’invention. O’Connell est grand parce qu’il représente de grandes douleurs. Il est le poète ; mais la poésie, c’est l’Irlande, c’est la verte Érin secouant la rosée de sang et de larmes qui couvre ses collines, first flower of the earth, first gem of the sea, la première fleur de la terre, la première perle de la mer.

Changez O’Connell de place, transportez-le par exemple à Mâcon, département de Saône-et-Loire, chef-lieu, préfecture, etc., dans le jardin anglais ou potager de M. Bouchard, et le charme est détruit, parce que la vérité n’est plus là. La différence entre les meetings d’Irlande et les meetings de Mâcon est assez bien caractérisée par la disparité des lieux de la scène et des accessoires. O’Connell est en plein air, il montre avec orgueil ses lacs et ses montagnes, et l’horizon sans bornes ; à Mâcon, nous avons des tentes, des guirlandes de feuillage, des décorations mobiles comme on en trouve dans le passage Choiseul pour faire des théâtres de société. À Mâcon, cent cinquante personnes reconduisent chez lui leur député, et on lui donne sous ses fenêtres une sérénade avec des solos de femmes et d’hommes (sic). En Irlande, O’Connell entraîne sur ses pas trois à quatre cent mille hommes, femmes et enfans. « On prétend, dit-il, que je ne puis pas me faire entendre. Je suis sûr qu’il y a plus de cinquante mille personnes qui entendent chaque mot que je dis, bien plus encore, car je m’aperçois que ma voix va jusqu’à l’autre extrémité de la foule. » Hier encore, il s’écriait « Y a-t-il un orchestre