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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/218

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REVUE DES DEUX MONDES.

les lois sociales une guerre injuste, pour essayer de démontrer les paradoxes les plus étranges au moyen de chiffres équivoques assemblés et groupés avec un art trompeur ; mais lorsque les chiffres sont exacts, lorsqu’on les présente sans fausser les circonstances qui les ont produits, ils sont irréfragables et entraînent toujours la conviction, quelle que soit la prévention qu’ils excitent dans les esprits sceptiques à qui on vient parler de progrès social, de réformes, d’abus à empêcher, d’améliorations à introduire. Comme toutes les sciences qui permettent aux passions de pénétrer dans les discussions, d’y prendre la place des argumens, de troubler les équations, d’empêcher l’élimination de l’inconnue, la statistique a fait un étalage pompeux de vérités contestables, de principes douteux, de conclusions spécieuses. Elle a rendu les chiffres complaisans, comme la philosophie a souvent rendu la logique facile et peu sévère. Cependant, si tels sont ses écarts, tel n’est pas toujours son rôle. Elle peut sans contredit aider puissamment l’économie politique dans la recherche du problème si difficile, si épineux, de la balance à établir entre les recettes et les dépenses de toute industrie, du maintien des droits de l’ouvrier et du maître, le problème de la liberté du travail concilié avec la continuité et la suffisance du salaire.

Tout le monde est d’accord sur ce point, que l’esprit de conduite et la prévoyance manquent surtout à l’industrie, qu’une discipline reposant sur l’idée du devoir devrait régler les relations des maîtres et des ouvriers, que des habitudes d’ordre devraient régner parmi les derniers, et des habitudes de prévoyance parmi les premiers. Point de spéculations effrénées, point de bénéfices extraordinaires et spoliateurs, point de concurrences ruineuses parmi les grands industriels ; point de prétentions exorbitantes et point de ligues illicites parmi les ouvriers. Éviter les hostilités constantes du maître et de l’ouvrier, du producteur et du consommateur, établir une balance équitable entre les droits proportionnels de tous, tel est donc le problème qu’il faudrait résoudre.

Les corporations d’autrefois, les jurandes, les maîtrises, régularisaient jadis le travail, aujourd’hui complètement anarchique, et résolvaient une portion du problème ; mais toutes ces institutions, établies plutôt en faveur du maître que de l’ouvrier, protégeaient seulement le riche contre le pauvre, et mentaient à leur véritable destination. L’ouvrier était à la discrétion du maître, et, associé forcément au travail, il n’était même pas libre de discuter les conditions du marché. Aussi une telle organisation des classes laborieuses a dû s’écrouler, lorsque, après mille ans de patience, la France secoua le joug et démolit l’ancien édifice social. Malheureusement sur les ruines on n’a rien élevé, et l’anarchie qui règne parmi les classes laborieuses appelle une solution qu’on ne pourra reculer long-temps sans péril. C’est en vain qu’on attendra que le besoin éclaire la population industrielle, que l’expérience de ses misères lui apprenne ses véritables intérêts et lui donne l’esprit de conduite qui la sauverait ; c’est en vain qu’on laissera aux fabricans isolés le soin