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tutions démocratiques ; ce qui lui manque essentiellement, c’est l’ordre et la discipline. Or, ce qui n’admet pas d’obéissance passive sera toujours nuisible et opposé aux véritables intérêts du clergé, dont la discipline a fait toute la force. La presse vit d’indiscrétion et le clergé, qui promet le secret, a besoin de faire croire qu’il sait le garder ; elle vit de liberté, elle ne se trouve à l’aise que là où elle peut se donner des airs de licence et le clergé a besoin de cette obéissance résignée et silencieuse qui, sur un ordre du gardien, conduisait un moine à pied à cinq cents lieues de sa patrie sans qu’il osât demander le motif du voyage. Aussi qu’est-il arrivé par suite de l’intervention des journaux dans les affaires du clergé ? Ne pouvant pas se laisser guider, la presse religieuse s’est partagée sur les questions les plus graves. La Gazette de France a tonné contre la Quotidienne, l’Univers contre la Gazette ; toutes ces feuilles se sont déchirées à belles dents. L’anarchie s’est déclarée partout, le pape lui-même n’a pas été respecté dans ces discussions si passionnées. Lorsque la Gazette de France fut prohibée dans les états romains, au lieu de se soumettre, les journaux catholiques et légitimistes ne tardèrent pas à déclarer que le pape avait reçu un million du gouvernement français pour interdire la Gazette dans ses états[1]. Que penser, d’après cela, de l’infaillibilité du pape ? Évidemment, monsieur, le clergé ne sait pas user d’une liberté dont il n’a pas l’habitude. À plusieurs reprises, il a été parfaitement libre, et toujours il a prouvé que, lorsque les liens de la discipline venaient, chez lui, à se relâcher, il se livrait aux excès les moins pardonnables. On connaît sa conduite du temps de la ligue et l’usage que, dirigé par les jésuites, il fit alors de la liberté de la presse et de la chaire. La fougue et les emportemens des prédicateurs de cette époque ne furent qu’imparfaitement imités en 1793 par les orateurs des clubs, et, d’après le portrait tracé par les historiens contemporains, Jean Boucher ne fut pas même surpassé par Marat. Rose, évêque de Senlis, qui osa dire en chaire que la palme céleste était réservée à tous les membres de la sainte ligue, quand même ils auraient tué père, mère, frères, sœurs, et commis toutes sortes d’atrocités, faisait des plans de campagne en débitant ses sermons, et il demandait à grands cris une autre saignée de Saint-Barthélemi. La prison et le pillage punissaient quiconque s’abstenait d’aller entendre ces horreurs. Le curé Aubry dénonçait alors du haut

  1. Voyez un article de la Gazette du Languedoc reproduit par l’Univers le 26 octobre 1841.