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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

de la chaire les modérés, qu’un autre curé, Hamilton, livrait de sa main au bourreau, et il déclarait qu’il marcherait le premier pour égorger les politiques, c’es-à-dire les modérés. Rien ne ressemble plus à la terreur que l’état de la France sous le despotisme de ces prédicateurs. Les visites domiciliaires et les suspects sont des inventions de la ligue, renouvelées deux siècles après par la convention. Seulement, et ici la distinction est essentielle, les ligueurs recevaient des pensions des Espagnols auxquels ils livraient la France, tandis que c’est dans la vue de défendre l’indépendance nationale que la convention commit les crimes qu’on lui a justement reprochés. Si je me suis arrêté sur ce point, monsieur, ce n’est pas pour en faire la base d’une accusation contre le clergé en général, car c’est là de l’histoire ancienne, et je ne me sens pas disposé à perpétuer les rancunes. D’ailleurs, il y eut aussi à cette époque des ecclésiastiques qui surent repousser ces violences, et qui même, comme le curé Prévost, bravèrent, dans l’intérêt de la charité, le poignard des assassins. J’ai voulu seulement prouver que le clergé, appelé, par sa nature et par sa consitution, à vivre loin du monde et à ne pas prendre part aux luttes mondaines, sait bien difficilement garder la mesure dès qu’il se livre aux passions populaires. Or, la publicité, les luttes enfantées par une libre discussion, offrent un danger inévitable à des hommes qui, en toute occasion, doivent se distinguer par la modération, et dont les actions devraient toujours avoir pour guide la charité. Les succès de la chaire, d’une chaire qui devient si facilement une arène politique, la vivacité de la polémique des journaux, contrastent singulièrement avec les habitudes et les besoins du clergé. Il est vrai qu’on ne prêche plus le meurtre et le pillage : on se borne à prôner le passé ; mais en louant cette sainte et glorieuse ligue, comme naguère encore l’a fait, dans la première église de Paris, un prédicateur fort à la mode, le clergé ne montre pas une assez grande répulsion pour les moyens employés à cette époque.

Si la ligue ne doit pas devenir le sujet d’un réquisitoire contre le clergé actuel, elle doit au moins servir d’exemple et d’avertissement pour tout le monde. L’histoire de cette époque doit prouver à la nation que l’influence du clergé n’est pas toujours, comme on l’assure, une condition de stabilité, et que les désordres les plus affligeans, les actions les plus abodminables, peuvent être la conséquence funeste des passions et de l’intolérance, soit qu’elles exercent leur empire sur les prédicateurs du XVIe siècle, soit qu’elles aveuglent les membres du comité de salut public. Elle doit montrer au clergé le danger