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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/492

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REVUE DES DEUX MONDES.

pelle pas mal la morale de l’Huître et les Plaideurs. Cette admission est devenue l’idée fixe et néfaste des ports de mer, qui se préoccupent bien moins aujourd’hui de la Martinique et de Bourbon que du Brésil et de Manille. Le trésor, tout entier aux intérêts financiers qu’il représente, est entré vivement dans cette voie. La combinaison sortie de cette double pensée, et formulée dans le projet de loi proposé par le cabinet, consiste, comme chacun sait, à interdire la culture de la betterave moyennant une indemnité de 40 millions, et à approvisionner notre marché par les 80 millions de kilogrammes qu’y versent annuellement nos colonies, en s’adressant pour les 40 millions de surplus aux sucres du Brésil, de la Havane et de l’Inde, de manière à augmenter ainsi les recettes du trésor dans une proportion considérable.

Quatre intérêts distincts sont donc engagés dans cette affaire, l’intérêt des colonies, celui de la culture indigène, celui des ports de mer, représenté par l’importation des sucres étrangers, enfin l’intérêt du trésor. Dans quel ordre la justice comme la bonne politique prescrivent-elles de les classer ?

En ce qui se rapporte aux colonies, leur droit à approvisionner le marché national du seul produit qu’elles soient en mesure d’y apporter se démontre avec une si irrésistible évidence, que la foi publique interdit même toute discussion à cet égard. Voici plus de deux siècles que des Français ont planté le drapeau de la patrie sur des terres lointaines ; ils les ont fécondées et défendues avec courage, et, dans plus d’une occasion, avec héroïsme. En même temps que la métropole les protégeait par toute sa puissance, elle imposait à ces établissemens des conditions de dépendance que les libres colonies de l’antiquité ne connurent jamais. Si les dispositions des ordonnances coloniales de 1634 et de 1727 ne sont plus exécutées dans ce qu’elles avaient de brutalement barbare, quelle modification a été apportée à leur principe fondamental ? Quel droit constitutionnel ont conquis les colons ? En quoi leurs intérêts commerciaux ont-ils cessé d’être subordonnés aux nôtres ?

Dans une pareille situation, placer le seul produit important de la culture intertropicale dans des conditions telles que les colons cultiveraient avec la certitude de se ruiner, serait commettre un acte odieux, digne de toutes les flétrissures de l’histoire. Qu’on ne dise pas que l’industrie sucrière pourrait être remplacée aux Antilles par une autre. Le déboisement de nos colonies y a désormais rendu impossibles certaines cultures florissantes en d’autres temps, et l’ouragan, ce fléau périodique des Antilles, y menace chaque jour la plantation des cafiers. Quant au droit de libre exportation, il ne sauverait pas nos possessions de l’arrêt de mort que la France prononcerait contre elles, en rendant son marché inabordable à leurs sucres, car elles ne pourraient soutenir nulle part la concurrence des sucres espagnols et brésiliens. C’est ici d’ailleurs que se produit cet intérêt maritime qui agrandit cette question et la revêt de proportions telles que l’intérêt des fabricans indigènes disparaîtrait à coup sûr devant une considération plus décisive, s’il n’y avait heureusement un terme de conciliation raisonnable entre ces deux industries.

Pour qui connaît les allures réservées du commerce français et les causes