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REVUE. — CHRONIQUE.

qui influent d’une manière si désastreuse sur le haut prix de notre navigation, c’est une chose inappréciable qu’un débouché facile et sûr pour un tiers environ des transactions de la France, opérées sous pavillon national. Lorsque le transport du sucre colonial compris pour 100 à 110,000 tonneaux dans nos importations de long cours correspond au quart à peu près de nos importations générales, lorsque le commerce direct avec nos colonies et les relations indirectes que celles-ci procurent à la grande pêche mettent en mouvement la moitié de notre personnel maritime, personne, assurément, ne viendra proposer de porter à la puissance navale de la France un coup dont elle ne se relèverait pas.

La cause des colonies sera donc placée, aux yeux de la chambre et du pays, sous la double garantie d’un contrat rigoureusement obligatoire pour la métropole et d’un intérêt national du premier ordre. Dès-lors, pour tout homme politique, intelligent et probe, la première donnée du problème est donc celle-ci : combiner les tarifs, eu égard aux prix de revient des diverses provenances, de manière à ce que la récolte moyenne des colonies, soit quatre-vingt et quelques millions de kilogrammes, trouve sur le marché français un placement assuré par voie de consommation ou de réexportation après raffinage.

Le libre arbitre du législateur ne commence qu’après la garantie par privilège donnée à cet intérêt hors de toute contestation, et la seule question qui puisse être légitimement débattue au sein de la chambre se réduit aux termes suivans : le marché français absorbant, exportation des sucres bruts et raffinés comprise, un total de 125 millions de kilogrammes au minimum, et la consommation étant en mesure d’augmenter dans une notable proportion, à qui faut-il réserver la quantité excédant les 80 millions de kilogrammes attribués à nos colonies ? Devra-t-on demander cet excédant au sucre indigène ou au sucre étranger ?

On peut dire que la question ainsi posée est résolue d’avance dans la conscience publique. Personne n’ignore que, si on cédait aujourd’hui aux égoïstes exigences de quelques ports, peu d’années s’écouleraient avant qu’ils n’élevassent contre la sucrerie coloniale les objections présentées aujourd’hui contre la sucrerie indigène, objections tirées d’un prix de revient inférieur et de relations commerciales nouvelles à ouvrir avec l’étranger. D’ailleurs, il n’est pas un des argumens mis en avant par Bordeaux ou par Marseille en faveur du sucre du Brésil et du sucre de Manille, qui ne pût s’appliquer avec bien plus de raisons aux houilles d’Angleterre, aux fers de la Suède, aux bois de la Russie, ou même aux blés de la Crimée. Le trésor doit y regarder avant de s’engager en de telles voies, dans l’espérance, non de retrouver ses anciennes recettes (elles lui seront assurées par l’égalisation progressive des droits sur les deux sucres), mais d’ajouter quelques millions à son budget.

Ce serait les payer trop cher que de les conquérir au prix du principe de l’indemnité, si funeste dans ses conséquences, et même au point de vue fiscal,