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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

abus de tout genre. Sans doute les îles Sandwich sont aussi comprises dans cette organisation de l’Océanie, et si les Américains du Nord, éloignés par système de toute entreprise coloniale, n’y substituent pas leur autorité et leur responsabilité au fanatique empire des missionnaires wesleyens, il faudra nécessairement qu’une autre puissance se charge de fonder la franchise des pavillons et la liberté des croyances.

Quoi qu’il en soit, cette révolution est aujourd’hui accomplie pour les îles de la Société, l’un des archipels polynésiens les plus avancés dans les voies de la civilisation. Quelques mois après l’occupation des Marquises, M. du Petit-Thouars fut appelé par notre consul, M. Moërenhout, pour demander une réparation de nouveaux griefs dont nos nationaux avaient à se plaindre. Le contre-amiral, arrivé à Papeïti, exigea de la reine Pomaré une indemnité de 10,000 piastres fortes. C’était une faible somme et à peine une compensation suffisante pour des dommages considérables. La reine consulta les chefs, et soit que la contribution de guerre parût trop onéreuse, soit qu’on cherchât un autre moyen de conjurer les hostilités, ils hésitèrent quelques jours. Une occasion meilleure ne pouvait souffrir de secouer le joug des missionnaires ; cette considération l’emporta et domina les négociations. Au lieu d’une indemnité, on offrit à M. du Petit-Thouars, stipulant pour la France, le protectorat des îles de la Société. La proposition était avantageuse et honorable ; le contre-amiral l’accepta. Il alla plus loin, il fit acte provisoire de suzeraineté, modifia le pavillon taïtien en l’écartelant d’un yacht tricolore, et institua un commissaire royal près du gouvernement indigène, avec un personnel d’officiers chargés de l’assister dans ces fonctions délicates. Une requête, signée par les principaux chefs de l’île, explique cet évènement et en précise le caractère.

Aujourd’hui commence, pour les deux archipels qui relèvent de l’autorité française, un régime sérieux, un gouvernement stable. Au prix de quelques sacrifices, nous allons fonder dans les îles de l’Océanie centrale la plus précieuse des libertés, celle des consciences, et répandre une civilisation moins intolérante, moins exclusive que celle dont les missionnaires anglais ou américains sont les représentans. De nos jours, l’autorité religieuse a besoin d’être tempérée et limitée ; les rêveurs seuls peuvent songer à réunir dans les mêmes mains les intérêts du ciel et ceux de la terre. Le règne du protestantisme dans les mers du Sud peut servir, à ce point de vue, de leçon et de témoignage. Maîtres souverains de tribus naguère sauvages, les missionnaires n’ont su ni les gouverner ni les rendre