heureuses. L’exploitation apostolique n’a pas été moins lourde que l’exploitation séculière ; elle a manqué de dignité et de désintéressement. La religion doit tenir une grande place dans les sociétés humaines ; mais, pour l’honneur du culte comme pour le bien des ames, il ne faut pas que cette influence s’étende plus loin que les choses du sanctuaire. Si le catholicisme devait, à l’ombre de la puissance que va lui donner notre pavillon, engager la lutte des croyances et opposer fanatisme à fanatisme, la France aurait rendu un triste service aux tribus polynésiennes en y introduisant sur une grande échelle la guerre des religions. Ce serait préparer de graves soucis à cette occupation lointaine, et nous exposer à des embarras européens. Qu’on ne s’y trompe pas, la ligne de conduite sera difficile à tenir en présence de deux cultes rivaux, dont l’un possède l’influence et l’autre aspire à la posséder. Il faudra, dans le fonctionnaire que le gouvernement a investi du pouvoir, une grande modération unie à une grande fermeté. Celui qui a été choisi, M. le capitaine Bruat, possède l’une et l’autre, et un zèle à la hauteur de ses lumières. Du reste, la question a été parfaitement établie dans l’exposé des motifs de la loi que le ministre de la marine vient de présenter aux chambres ; il ne reste plus qu’à faire passer dans les esprits cette réserve que la politique commande, et à contenir dans de justes limites les manifestations du zèle religieux.
Il convient de ne pas se bercer d’illusions ; la mission que nous avons acceptée dans les mers du Sud est une mission de dévouement. Elle est digne de la France, elle a un caractère de grandeur, et c’est ainsi qu’elle se justifie. Nous ne sommes pas assez connus au loin et nous ne pouvons que gagner à l’être davantage. Ces considérations suffiraient, quand même nous ne serions pas engagés de manière à ne pouvoir reculer sans faiblesse. Il faut donc passer outre résolument, entrer dans l’esprit de notre rôle, et surtout écarter des fictions dangereuses. La première fiction serait de croire que notre commerce retirera un avantage immédiat ou tout au moins prochain de cette prise de possession. En dehors d’une protection plus efficace pour nos baleiniers, il n’y a rien dans les archipels de la mer du Sud qui puisse intéresser notre mouvement commercial. Les pronostics que l’on peut tirer pour l’avenir ne changent pas même à cet égard la situation de la métropole. Dans des temps fort éloignés, il se peut que l’océan Pacifique ait une activité qui lui soit propre. Si les anciennes colonies espagnoles parviennent à trouver une assiette, si les ports du Mexique, du Pérou, du Chili, des deux Californies, ac-