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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/627

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CALCUTTA.

fend-on l’approche du bord à ces bateaux empressés : ils s’éloignent, mais pour revenir furtivement, et tout à coup un banyan décemment vêtu, coiffé du turban de mousseline blanche, venu on ne sait d’où, tombe debout sur le pont et s’incline devant le capitaine, qu’il a reconnu d’un coup d’œil, en lui offrant ses services. Souvent, pour toute réponse, il reçoit l’ordre de sauter dans sa barque, et sans murmurer il se retire, mais si lentement et avec tant de salams, qu’on l’oublie ; d’ailleurs sa barque est loin, le banyan sait qu’on ne le jettera pas à l’eau, et il se cache derrière un canon, dans un groupe de matelots. Une demi-heure se passe ; un second bateau paraît, portant écrit sur sa cabine le nom de tous les navires de la même nation qui l’ont employé ; un second banyan se glisse aussi sur la dunette et murmure à l’oreille du capitaine, qui ne l’a pas même aperçu, ces salutaires avis : Défiez-vous de l’autre, c’est un grand voleur !… Quant à moi, vous pouvez voir la preuve de la confiance… Et il récite les noms inscrits sur sa barque, longue kyrielle interrompue par la réapparition du fournisseur calomnié, qui a guetté son rival et sort de sa retraite juste à temps pour donner la réplique.

Presque toujours il arrive que les deux plaideurs se traitent de telle façon qu’ils perdent l’un et l’autre leur procès devant le capitaine, car un troisième bazardier (fournisseur) se présente muni d’une lettre de bienvenue dépêchée par le consignataire, qu’il remet triomphalement avec des fleurs et des fruits, petit cadeau à l’orientale offert en son propre nom. Mais les deux banyans éconduits ont profité du temps pour établir des relations particulières avec les voyageurs et les gens de l’équipage ; lorsque l’ancre tombe devant le quai, ils se mettent en campagne à travers les bazars, laissant la place vide aux tailleurs, aux barbiers, aux marchands de coquillages, de foulards, d’éventails, qui tous trouvent quelque garde-robe à remettre à neuf, quelque menton à raser, quelque naïf badaud à exploiter. Grace à une subdivision infinie de métiers, tout le monde parvient à s’employer, à gagner la poignée de riz qui suffit au sobre habitant de ces contrées.

Avant de nous mêler aux bruits d’une capitale si peuplée, jetons un regard sur les abords des faubourgs, assurément plus attrayans, plus gais surtout que la ville elle-même, sur ces maisons de campagne où le riche Européen, entouré d’un luxe asiatique, jouit des aises de la vie mieux encore que le nabab qu’il a dépossédé. Les premières lueurs du jour éclairent d’élégans pavillons, isolés au milieu d’un boulingrin, loin de ces grands et beaux arbres qui attire-