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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

présentent un peuple, lui se fait le symbole d’une idée. « J’ai toujours aimé et honoré le talent de Pope de toute mon ame, bien que de ma vie je n’aie su l’imiter[1], » écrit l’auteur de Child-Harold en 1820. Ces paroles évidemment ne révèlent que l’artiste épris de la forme, et qui, malgré lui, se laisse charmer à l’aspect de la ligne correcte et pure ; car pourquoi une opinion aussi prononcée se trouve-t-elle démentie par les actes d’une vie entière ? Pourquoi le génie hardi et libre de Byron répudie-t-il d’une manière aussi énergique (et qui va même parfois jusqu’au sacrifice de la forme) le style harmonieux et limpide, le vers ciselé et parfait de Pope ? Pourquoi ce classicisme qu’il admire si ardemment ne parvient-il pas un seul instant à réprimer les élans fougueux de sa muse indomptable ? Pourquoi cette contradiction manifeste, si ce n’est que le barde de Newstead obéissait à son insu à une influence irrésistible, et qu’il lui était ordonné de suivre la voie pénible que venaient d’ouvrir les Confessions et Werther ? Rousseau, Goethe et Schiller le précédèrent ; où trouver assez de place pour nominer tous ceux qui l’ont suivi ? Et par cela je n’entends nullement agrandir le mérite de Byron, qui ne m’apparaît que comme le Luther de cette réforme littéraire, devenue inévitable par la force des choses, et préparée par des têtes bien plus puissantes que la sienne. Le principal mérite de Byron, selon moi, est de n’avoir pas fait défaut aux circonstances. C’est à cela qu’il doit son titre de chef d’une école où d’autres avant lui avaient professé les mêmes doctrines, mais dont la chaire, lorsqu’il parut, se trouvait vide. J’ai dit que Byron manquait de cette nationalité qui distingue Scott et Moore : par le mot nationalité, je n’entends pas cet étroit esprit de conservation égoïste qui s’attache bien plus aux produits et aux avantages du sol qu’au sol même, et peut-être serait-on en droit de trouver que par ce défaut de patriotisme poétique Byron ne fait que mieux personnifier un peuple dont deux races ennemies se disputent le berceau, qui vient au monde cosmopolite, et pour qui le premier besoin est de sortir de chez lui. L’essentielle différence qui existe entre Byron et Moore gît tout entière dans celle qui sépare les sources de l’inspiration. Le chantre de Lara, orgueilleux réprouvé, s’inspire de lui-même, c’est-à-dire du cœur humain, chante ses propres douleurs, c’est-à-dire celles de l’humanité, et entretient la génération contemporaine des inquiétudes, des doutes, des aspirations vagues, du malaise étrange, qui les dévorent tous deux. Rien

  1. Lettre à d’Israëli.