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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/702

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ne s’entend mieux que deux malades qui souffrent de la même maladie ; aussi le siècle ne tarda-t-il pas à s’engouer de Byron. Moore au contraire, reçoit son impulsion d’une idée moins étendue et plus spéciale, l’Irlande. L’amour de son pays est la flamme à laquelle son enthousiasme a pris feu ; homme ou poète, tout l’être est là-dedans. « Les Mélodies irlandaises, disait Byron, vivront dans la postérité tant que vivront l’Irlande, la musique et la poésie. » Le patriotisme, la haine de l’oppresseur, l’exécration du traître, l’espoir de la vengeance, le culte de la liberté, voilà les élémens de la poésie de Moore. On le voit bien, ce genre de talent devait nécessairement exercer une action moins universelle que celui de Byron. Les nations opprimées et esclaves pouvaient seules comprendre les souffrances de la malheureuse Érin ; les peuples riches et puissans ne s’en préoccupaient guère, et trouvaient une foule de bonnes raisons pour ne pas s’en émouvoir. Mais la prédiction de Byron est strictement vraie : tant que durera l’Irlande, tant qu’une poignée de ses fils vivront encore pour ressentir le poids de leur honte et de leur misère, qu’ils soient captifs, exilés, mourans, qu’ils gémissent dans le far-west, ou que dans les plaines brûlantes de l’Inde ils combattent sous le drapeau d’un maître abhorré, on trouvera sur leurs lèvres une chanson de Moore et dans leur cœur une bénédiction pour son nom. Moore s’est élevé par le patriotisme au niveau des hommes politique. Certes, le poète qui a consacré son imagination à l’Irlande n’a pas moins fait pour elle que ceux qui lui ont donné leur vie. O’Connell, O’Gorman Mahon, Sheil, Curran et Grattan, tous ces courageux et nobles défenseurs d’Érin, saluent du nom de frère l’auteur des Mélodies, dont à cette heure les sentimens restent aussi chauds, aussi inébranlables que dans les temps de sa plus ardente jeunesse. Dans les rares et misérables aumônes qu’elle se laissait arracher en faveur de sa conquête, la hautaine Angleterre ne cédait peut-être pas plus au langage énergique dont retentissaient les murs des deux chambres du parlement qu’aux murmures sourds de l’opinion publique, entraînée par la voix du poète à la mode.

Si la force ou la grace prédomine chez Moore, c’est là une question que l’on n’a guère pris la peine d’examiner, ébloui qu’on était par l’éclat d’un autre génie dont l’énergie formait le caractère distinctif. Byron a exercé une action sociale trop vaste et trop féconde pour que de son temps on ait pu le juger sainement comme artiste ou comme penseur ; maintenant que cette première effervescence s’est calmée, il serait peut-être possible de démontrer que d’autres