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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/707

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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

quelle vie apporte ton rayon ! À te sentir, il y a un bonheur si réel, que le monde ne renfermât-il d’autre joie que celle-ci, — de pouvoir se reposer et se soleiller en paix, — ce serait un séjour trop délicieux, trop charmant, pour que l’homme pût l’échanger contre l’obscurité, l’ombre froide du tombeau ! »

Il serait difficile, ce semble, au plus indolent lazzarone du Môle, au plus voluptueux buveur du soleil de Mysore, de mieux exposer les doctrines de sa philosophie sensuelle. Mais bien que tous les trésors de l’Asie se soient épanchés sur quelques pages de Lalla Rookh, bien que les parfums de l’Arabie vous enivrent, que les tissus de l’Inde vous éblouissent, et que vous vous trouviez transporté dans le monde merveilleux de Krishna et de Kamadéo, Lalla Rookh n’est rien moins qu’un poème oriental. Lalla Rookh n’est qu’un magnifique cadre persan qui renferme un calvaire, et où le croissant cache la croix ; c’est la coupe de rubis de Giamschid remplie de morat[1] jusqu’aux bords, un brillant symbole derrière lequel le poète se retranche pour mieux foudroyer l’oppresseur de sa religion et de sa patrie.

Lalla Rookh se compose, comme on le sait, de quatre poèmes distincts, amenés et liés ensemble par une narration en prose : forme essentiellement orientale, qui souriait fort aux vieux conteurs méridionaux, descendans immédiats des poètes de l’Asie, à la tête desquels il faut placer Boccace, et que l’on peut, en y cherchant bien, retrouver d’aventure dans les tales des nouvellistes primitifs de la Grande-Bretagne.

Le puissant empereur Aurungzèbe marie sa fille, Lalla Rookh, au prince Aliris, fils du roi de Bucharie. Pendant le voyage que fait la princesse de Delhi à Cachemire, où doit être célébré son mariage, un jeune poète, nommé Feramorz, trouve le moyen de se glisser dans la nombreuse suite de Lalla Rookh, et, à l’excessif déplaisir du grand chambellan Fadladeen, parvient à diminuer pour la prin-

    lorsqu’il nommait ses Églogues orientales ses Églogues irlandaises, ne savait pas combien était vraie une partie au moins de son parallèle. Votre imagination créera un soleil plus vif et un ciel moins nuageux ; mais la sauvagerie (wildness), la tendresse et l’originalité forment quelques-uns de vos titres nationaux à une descendance orientale, et vous-même jusqu’ici, vous avez prouvé les vôtres bien plus clairement que le plus zélé antiquaire de votre pays. » Le poète Collins, auquel Byron fait allusion, publia, dans la première moitié du dernier siècle, des poèmes sous le nom d’Églogues orientales. Plus tard, atteint d’un découragement profond, il blâma sans réserve ses productions juvéniles, et, pour exprimer combien il trouvait mal écrites les Églogues orientales, il les surnomma ses Églogues irlandaises.

  1. Liqueur que buvaient les anciens rois irlandais.