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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

vagues désirs de notre hémisphère du Nord, et Mahomet n’a rien à démêler avec ces yeux d’un bleu limpide dont le regard intelligent et rêveur perce à travers le voile d’or qui les cache. Si l’on demande comment Moore a pu composer et coordonner son œuvre de telle sorte que le contraste des deux élémens distincts qui la constituent ne nuisît point à l’ensemble, on en trouvera la raison dans l’entente profonde de la forme. Moore possède au suprême degré le secret de cette forme élégante et souple, également éloignée de la redondance orientale et de la sécheresse du Nord, et qui attire les élémens les plus extrêmes, les plus opposés, pour les assimiler, les unir et les confondre dans son milieu tempéré. Il n’existe peut-être aucun poète auquel on puisse mieux appliquer le mot inventé par Goethe d’oriental-occidental. Quant au quatrième récit : la Lumière du Harem, bien qu’il nous apparaisse au premier abord comme une création animée du pur souffle asiatique, certaines restrictions sont encore nécessaires ; au milieu d’une sobriété de détails et d’un éclat de coloris vraiment orientaux, la conduite plutôt lyrique qu’épique du sujet rattache ce conte charmant au monde européen.

On s’est beaucoup amusé, surtout en Angleterre, à comparer entre eux Moore et Byron, et à trouver que le poète de Lalla Rookh sentait et traduisait bien plus fidèlement l’esprit de l’Orient que le chantre du Giaour. Peut-être, en l’examinant, trouvera-t-on que cette opinion, comme beaucoup d’autres fort généralement acceptées, manque de justesse, et que l’inverse de la proposition approcherait davantage de la vérité. Je suis loin de vouloir soutenir l’exactitude de la couleur locale dans les créations orientales de Byron, ou de prétendre que Gulnare, Leïla, Zuleïka et Médora ne soient pas autant de Marys[1] musulmanes ; mais il me semble que, pour l’Orient qu’il a voulu peindre, il l’a incontestablement mieux peint que Moore, dont le premier soin devait être de masquer des pensées beaucoup trop nationales. Il y a Orient et Orient, et on n’en est pas quitte pour enturbanner son héros, et le faire crier : Allah il Allah ! Les peuples du continent asiatique et africain diffèrent entre eux par les croyances, le caractère et les mœurs, tout autant que ceux de l’Europe. L’Orient a son antiquité classique, ses grandes lignes, comme aussi son romantisme, sa période de mouvement inquiet. L’Inde, la Perse, l’Arabie, forment le terrain classique dont l’Himalaya est l’Olympe,

  1. On sait que le premier amour que ressentit Byron fut inspiré par miss Chaworth, qui se nommait Mary.