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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/715

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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

que depuis si long-temps il n’avait nommée, celle que depuis si long-temps il n’avait plus revue, il s’écria avec passion : Ô Nourmahal ! ô Nourmahal ! si c’était toi qui chantais ainsi, je pourrais tout oublier, te pardonner tout, et ne jamais quitter tes yeux adorés ! Le masque est ôté, le charme opère, et Sélim presse sur son cœur en délire, plus belle que jamais et rougissante, sa Nourmahal, la lumière de son harem ! »

Cette réconciliation, due à la puissance de la voix humaine, avait de quoi tenter Moore, qui toute sa vie a professé un culte exalté pour la musique. Du reste, quoique la Lumière du Harem soit un des plus charmans bijoux de cette riche cassette, il ne faut pas non plus s’en exagérer l’importance. Il y a bien des personnes qui pourraient trouver que l’auteur lui-même en a fait la meilleure appréciation dans ces paroles de Fadladeen : « Cette production légère, dit le grand chambellan, ressemble à ces bateaux chargés de parfums, de fleurs et de bois de senteur que les habitans des îles Maldives mettent à l’eau tous les ans en offrande à l’esprit de la mer ; un joujou doré et sans consistance, livré sans gouvernail aux vents et aux flots. »

Le personnage de Fadladeen est d’une heureuse invention et conduit d’un bout à l’autre avec une rare adresse. Caricature spirituelle des courtisans et des critiques, son pédantisme s’exerce aux dépens du poète même ; il fallait donc le maintenir constamment à côté du ton et le faire chanter faux sans que cela dérangeât l’harmonie de l’ensemble, ce qui ne laissait pas que d’être d’une difficile exécution. Moore a tiré de ce personnage un excellent parti. Avec sa gourmandise, son emportement et sa suffisance, avec sa sainte horreur des hérétiques bayadères, sa dévotion pour les altesses, et son amour pour les mangues de Mazagong, Fadladeen est d’un comique véritable et ne manque pas d’un certain faux air de don Magnifico. Il possède surtout à ravir ce portentoso bouffon auquel sied si bien la robe de chambre à grand ramage. Que l’on se figure les anathèmes que lui arrache le principal chant de Feramorz, les Adorateurs du feu ! Nulle part l’esprit de révolte, la haine de l’oppresseur, n’éclatent avec une plus rude franchise, avec une plus sombre violence. Je ne puis me défendre de penser que Lalla Rookh tout entière trouve sa raison d’être dans ce poème, où il n’est pas jusqu’au nom de la contrée que le poète donne pour patrie à son héros qui ne rappelle l’image de la verte Erin[1]. En lisant cet épisode de la guerre des Guèbres avec

  1. Dans tout le troisième récit de Feramorz, Moore n’appelle la Perse que par