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les musulmans, il est impossible à ceux qui connaissent l’Irlande de ne pas la voir se dresser devant eux vivante à chaque ligne. Ce passage dans le portrait de Hafed : Noble descendant des antiques rois dont les veines s’emplissent du sang de Zal et de Rustam, qu’est-ce autre chose sinon une concession aux idées aristocratiques des Irlandais, idées si enracinées dans le cœur de ce peuple étrange, qu’O’Connell lui-même, qui possède bien son public, s’est vu forcé de se vanter d’une descendance royale ? Je me suis servi du mot portrait : certains traits dans le caractère du chef des Guèbres rappellent une illustre et touchante victime dont l’Irlande n’oubliera la mort qu’en la vengeant[1]. Et ce portrait n’est point le seul ; il ne serait pas impossible que plus d’un homme d’état du siècle dernier trouvât dans les vers du troisième chant de Lalla Rookh une mortalité plus certaine que désirable, et il ne m’est pas prouvé, en l’examinant de près, que les Clare, les Castlereagh et les Richmond y échappassent. On dirait même parfois que les sanglantes allusions du poète désignent une tête plus haute que celle d’un vice-roi. Qui ne reconnaît dans les vers suivans, qui se comptent parmi les plus énergiques du poème, la malédiction lancée par l’Irlande entière contre le misérable Reynolds[2] ?

« Des paroles ! des paroles pour maudire l’esclave dont la trahison, comme un air fatal, a soufflé sur le conseil des braves et les a frappés à leur heure de puissance ! Que pour lui la coupe amère de la vie se remplisse de perfidies jusqu’au bord, d’espérances qui n’allèchent que pour décevoir, de joies qui s’évanouissent en les goûtant, comme ces fruits de la mer Morte qui tentent les yeux, mais se changent en cendres sur les lèvres ! Fléau de son pays, honte de ses enfans, paria de la vertu, de la paix, de l’honneur, puisse t-il à la fin, la lèvre enflammée, mourir haletant sur le sable du désert, pendant que le flot trompeur[3] qui le leurrait s’abîme comme le glorieux espoir qu’il a détruit ! Et lorsque de la terre son esprit s’envolera, juste prophète ! que l’ame du damné demeure en vue, en pleine vue du paradis, et que de l’enfer il contemple le ciel ! »

    son nom d’Iran. On sait que l’Irlande doit le sien au mot Yr, qui, en langue runique, signifie un arc, arme dont les Irlandais se servaient avec une grande dextérité. Beaucoup de gens, en remarquant la consonnance des deux premières syllabes dans les deux mots Ir-an et Ir-lande, ont cru à une coïncidence pour le moins étrange.

  1. Lord Edward Fitzgerald, mort en 1798.
  2. Reynolds, en 1798, vendit au gouvernement anglais, pour des sommes considérables, les secrets de l’association des Irlandais unis, dont il était membre, et dont les principaux chefs l’honoraient malheureusement d’une confiance sans bornes.
  3. Le mirage.