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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/734

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REVUE DES DEUX MONDES.

intitulé : les Lettres interceptées ou le Sac du Facteur (Intercepted letters or the Twopenny post bag), signé du nom de Thomas Brown, pseudonyme sous lequel on devinait facilement le poète irlandais. Ce livre contenait un recueil de huit lettres qu’on supposait être écrites par la princesse Charlotte à lady Barbara Ashley, par le prince régent à lord Yarmouth, par le colonel Mac-Mahon à sir John Nichol, etc. ; en moins de dix-huit mois, on en fit quatorze éditions. Deux ans plus tard, en 1814, tout le monde apprenait par cœur la fameuse adresse de condoléance (condolatory address) de lord Byron à la belle Sarah, comtesse de Jersey, dont le régent, dans un accès de mauvaise humeur, venait de bannir le portrait de sa galerie des beautés contemporaines à Carlton-House. Du reste, si le « vain vieillard, héritier de la couronne et de l’esprit de son père[1], » ainsi que l’appelle lord Byron, ne pardonna jamais au barde de Newstead ces vers trop célèbres, en revanche la noble comtesse, femme supérieure à tous égards, ne négligea aucune occasion de témoigner sa vive amitié à celui dont le génie l’avait rendue immortelle. À peu près en même temps que cette ode, un trait non moins acéré tomba de la plume empoisonnée de Byron : le Prince régent entre les cercueils de Charles Ier et de Henri VIII dans le caveau royal de Windsor[2]. On répétait encore partout cette insulte au fils des Guelfes,

  1. Après la publication des satires du docteur Wallcott (connu sous le nom de Peter Pindar), on adopta assez volontiers dans les cercles de Londres une opinion peu flatteuse de l’esprit du vieux roi, opinion erronée s’il en fut : George III manqua souvent de loyauté et de grandeur d’ame, mais jamais d’intelligence ou d’astuce.
  2. Par suite des réparations de la chapelle Saint-George à Windsor, les cercueils de Charles Ier et de Henri VIII furent déterrés ; on les ouvrit par ordre du prince, qui voulut assister à cette cérémonie, et on trouva les deux rois (mais surtout Charles Ier) dans un état de conservation remarquable. On prétend même que, lorsque le prince prit par les cheveux la tête du monarque décapité et l’ôta du cercueil, il en tomba une goutte de sang. Cette exhumation royale suggéra à lord Byron des vers dont voici la traduction :

    « Fameux tous deux par la honteuse violation de liens sacrés, voyez Charles sans tête à côté de Henri sans cœur ; entre eux se tient aussi une chose qui porte le sceptre (another scepter’d thing). Cela remue, cela règne ; hormis le nom, un roi !

    « Charles pour son peuple, Henri pour sa femme, en lui le double tyran ressuscite ; la justice, la mort, ont foulé en vain leur poussière ; chaque vampire royal renaît à la vie. À quoi servent donc les tombes, puisque celles-ci vomissent le sang et la poussière de leurs deux hôtes pour faire un George ! »

    Byron trouva lui-même l’épigramme un peu farouche (c’est sa propre expresion) ; « mais, ajoute-t-il à ce propos, mes saillies n’ont pas trop l’habitude d’être plaisantes. » (Lettre à Moore, 12 mars 1814.)