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UN FRAGMENT INÉDIT DE PASCAL.

Il y a de deux sortes d’esprits, l’un géométrique, et l’autre que l’on peut appeler de finesse[1].

Le premier a des vues lentes, dures et inflexibles, mais le dernier a une souplesse de pensées qu’il applique en même temps aux diverses parties aimables de ce qu’il aime. Des yeux il va jusqu’au cœur, et par le mouvement du dehors il connaît ce qui se passe au dedans.

Quand on a l’un et l’autre esprit tout ensemble, que l’amour donne de plaisir ! Car on possède à la fois la force et la flexibilité de l’esprit, qui est très nécessaire pour l’éloquence[2] de deux personnes.

Nous naissons avec un caractère d’amour dans nos cœurs, qui se développe à mesure que l’esprit se perfectionne, et qui nous porte à aimer ce qui nous paraît beau, sans que l’on nous ait jamais dit ce que c’est. Qui doute après cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer ? En effet, l’on a beau se cacher, l’on aime toujours ; dans les choses même où il semble que l’on ait séparé l’amour, il s’y trouve secrètement et en cachette, et il n’est pas possible que l’homme puisse vivre un moment sans cela. L’homme n’aime pas à demeurer avec soi, cependant il aime ; il faut donc qu’il cherche ailleurs de quoi aimer. Il ne le peut trouver que dans la beauté ; mais comme il est lui-même la plus belle créature que Dieu ait jamais formée, il faut qu’il trouve dans soi-même le modèle de cette beauté qu’il cherche au dehors. Chacun peut en remarquer en soi-même les premiers rayons ; et selon que l’on s’aperçoit que ce qui est au dehors y convient ou s’en éloigne, on se forme les idées de beau ou de laid sur toutes choses. Cependant, quoique l’homme cherche de quoi remplir le grand vide qu’il a fait en sortant de soi-même, néanmoins il ne peut pas se satisfaire par toutes sortes d’objets. Il a le cœur trop vaste ; il faut au moins que ce soit quelque chose qui lui ressemble et qui en approche le plus près. C’est pourquoi la beauté qui peut contenter l’homme consiste non-seulement dans la convenance, mais aussi dans la ressemblance[3]. Elle la restreint et elle l’enferme dans la différence du sexe.

La nature a si bien imprimé, cette vérité dans nos ames que nous

  1. Première partie, art. 10, § 2.
  2. Sic. Mot évidemment défectueux dans la copie.
  3. C’est la théorie de l’amour, telle qu’elle est exposée dans le Phèdre et le Banquet de Platon.